Les fées ont soif, écrite par Denise Boucher, sera présentée jusqu’au 10 novembre au Théâtre du Rideau Vert. La pièce met en scène trois femmes : Marie, la mère au foyer (Pascale Montreuil), Madeleine, la prostituée (Bénédicte Décary) ainsi que le personnage vivant d’une statue de la Vierge (Caroline Lavigne). Ensemble, elles discutent et réfléchissent à leur vie, remettant en question bien des choses. Deux musiciennes sur scène, Patricia Deslauriers et Nadine Turbide, accompagnent les chansons interprétées par les personnages.

40 ans plus tard

L’œuvre Les fées ont soif fait désormais partie de l’histoire du Québec. À l’époque de sa création, il y a eu un tollé de protestations pour empêcher la première représentation, en novembre 1978, au Théâtre du Nouveau Monde (TNM). Jean-Louis Roux, alors directeur du théâtre, avait décidé de maintenir la présentation de la pièce avec le soutien de certains membres de la communauté artistique, dont celui de Simone de Beauvoir.

À l’époque, des groupes religieux dénigraient le spectacle et reprochaient à la pièce d’être blasphématoire parce qu’elle remettait en question l’oppression de la religion et l’emprise des hommes sur les femmes. Ces groupes venaient d’ailleurs manifester chaque soir devant le théâtre pour empêcher les gens d’y entrer. Les comédiennes Sophie Clément, Michèle Magny et Louisette Dussault avaient même reçu des menaces de mort.

Le Conseil des Arts de Montréal, lui, menaçait même de couper les subventions au TNM. Quant à Thérèse Lamarche, vice-présidente du conseil, elle démissionna pour manifester son désaccord avec cette coupure. Les détracteurs de Les fées ont soif sont allés jusqu’à la Cour d’appel du Québec et en Cour suprême pour faire interdire la présentation du spectacle. Ils ont finalement été déboutés.

Quarante ans plus tard, dans une mise en scène de Sophie Clément, qui jouait Madeleine en 1978, la pièce est de nouveau présentée, cette fois au Théâtre du Rideau Vert. La directrice artistique du théâtre, Denise Filiatrault, semble avoir dédié une bonne part de la saison 2018-2019 aux femmes.

Les mêmes fées, les mêmes enjeux

La pièce est bien imagée avec des symboles forts. Au début, les comédiennes arrivent sur scène affublées de gros costumes et de masques. Puis, elles se déshabillent comme si elles extirpaient d’elles-mêmes l’image ou le rôle imposé par la société, mais qui ne colle pas à leurs choix, leur personnalité et leurs aspirations. Le fond du décor est un miroir. Il fait apparaître chaque personnage plusieurs fois, comme pour représenter plusieurs dimensions de chacun d’entre eux. Le texte et la mise en scène cherchent à démontrer que les femmes sont à la fois uniques et plurielles. Encore plus dans cette mouture de 2018.

Le texte est toujours d’actualité. La religion oppresse et contrôle sans doute moins les Québécoises, mais quelque part, dans un petit coin de notre tête, subsistent des relents de cette oppression. La pièce dénonce des réalités qui existent toujours : les inégalités, la violence conjugale, le viol, les stéréotypes, la pression exercée par la société pour correspondre à ce qu’on attend des femmes, etc.

On affirme souvent qu’il y a eu de grands changements et une émancipation, mais en pratique, c’est plus complexe. L’inégalité salariale existe encore et les femmes sont généralement plus pauvres que les hommes. Même si la violence conjugale est condamnable, certaines « pardonnent » encore et acceptent l’inacceptable par « amour ». Et même lorsqu’elles quittent leur conjoint violent, les lois censées les protéger n’y arrivent pas nécessairement. Dans le cas d’un viol, une femme doit souvent faire face aux préjugés de ceux qui doutent ou ne la croient pas, passant du statut de victime à celui d’accusée. La société dans laquelle on vit fait encore fortement pression sur la gent féminine. On veut qu’elles soient des Wonder Women. Elles doivent être performantes au travail, de bonnes mères, et de bonnes épouses.

La quête de son vrai « soi », de ce qu’on veut vraiment comme femme, reste donc actuelle. La lutte pour l’égalité, la vraie, n’est pas terminée. Les portraits brossés par Denise Boucher et actualisés par la mise en scène de Sophie Clément illustrent avec brio cette réalité.

Après avoir vu Les fées ont soif, version 2018, je ne peux qu’espérer que des hommes appuient encore plus les femmes pour permettre à toutes de sortir de leur carcan sociétal. À défaut de choquer, Les fées ont soif attise la curiosité, encore aujourd’hui, puisqu’il y a des supplémentaires prévues.