L’un des trois journaux de rue du Brésil, Revista Traços, est distribué dans la capitale Brasília depuis huit ans, et, depuis un an et demi, à Rio de Janeiro. Comme L’Itinéraire et toutes les publications membres de l’INSP (réseau international des journaux de rue), le magazine soutient le même objectif: aider les personnes en situation d’itinérance ou à risque, à s’en sortir par la vente d’un journal ou magazine.

Nous nous sommes entretenus avec André Noblat, le directeur éditorial du magazine, avec l’aide précieuse de notre graphiste Carla Braga, elle-même d’origine brésilienne. En discutant avec notre homologue, on a constaté les grandes similitudes entre nos deux publications, mais à quelques différences près : la leur est strictement axée sur la culture et leurs camelots s’appellent « porte-parole culturels ».

 

Vous êtes l’un des premiers artisans de Revista Traços. Parlez-moi de ce que le magazine et l’organisation qui le soutient représentent pour vous?

Je suis journaliste de formation et j’ai toujours participé aux mouvements étudiants. Revista Traços était une façon d’utiliser ma profession comme un outil pour militer et construire un projet de transformation sociale qui allait aussi bien au-delà du journalisme traditionnel. Pour moi, c’est le sens de mon militantisme qui est mis en pratique dans mon métier.

Le magazine est-il bien intégré à la communauté de Rio de Janeiro?

Les gens acceptent-ils bien les porte-parole culturels? Oui, le magazine a été très bien accepté par la communauté, tant à Brasília qu’à Rio de Janeiro.

Plus le projet est connu de la population locale, plus les porte-parole culturels ont de la facilité à vendre le magazine.

Notre équipe accorde un grand soin à la qualité et au contenu de chaque numéro du magazine. Les gens l’achètent non seulement pour aider les porte-parole de la culture, mais aussi pour la grande qualité artistique du magazine, qui finit par devenir comme un objet de collection, étant donné que notre magazine a déjà remporté une vingtaine de prix d’excellence.

Et faire un magazine de haute qualité nous permet aussi d’augmenter l’estime de soi de nos porte-parole. Plutôt que d’être seulement une personne qui reçoit de l’aide de l’organisme, elle devient un véritable entrepreneur qui peut parler aux gens dans la rue, faire des ventes par téléphone, et établir une clientèle régulière. Ainsi, nos porte-parole culturels deviennent connus à leur point de vente. Le magazine a brisé cette barrière. Alors qu’auparavant les passants avaient peur de parler à ce type qui vivait dans la rue, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

L’autre objectif du magazine n’est pas seulement de produire un revenu pour l’ex-habitant de la rue, mais aussi de lui fournir des mécanismes lui permettant de dialoguer avec sa clientèle, ce qui est l’une des conditions les plus importantes pour qu’il augmente aussi son estime de soi.

Quels sont les profils de vos participants?

Il y a trois profils de personnes qui fréquentent l’organisme.

Le premier, que nous appelons « papelão », correspond à la personne qui a déjà fréquenté l’organisme et qui est en lien avec une personne toxicomane qui vit toujours dans la rue. Elle lui parle du projet de Revista Traços et l’invite à fréquenter l’organisme.

Le deuxième profil, le plus important, concerne des personnes qui fréquentent d’autres organismes publics et privés partenaires ainsi que des refuges pour sans-abri. Notre équipe y vont pour présenter le projet et proposent aux gens qui en ont besoin un accompagnement pour éviter qu’ils ne retournent dans la rue.

Enfin, le troisième profil de personnes s’est manifesté pendant la pandémie. C’est le plus simple et qui a une «date d’expiration». Ce sont des personnes qui ne sont ni itinérantes ni toxicomanes et qui se sont adressées à l’organisme après avoir perdu leur emploi. Elles étaient désemparées au point de se retrouver à la rue. C’est alors que Revista Traços a commencé à apporter son soutien à ces gens jusqu’à leur retour sur le marché du travail.

Quels sont les services que vous offrez à vos participants?

Notre équipe est composée non seulement de journalistes, mais aussi de travailleurs sociaux et de psychologues, ainsi que de stagiaires qui assurent quotidiennement des services de santé destinés à nos porte-parole culturels, grâce à un partenariat avec des universités.

Nous développons une série d’actions et de procédures pour augmenter l’estime de soi de ces personnes. Par exemple, elles reçoivent des macarons et des dossards d’identification avec des bandes de couleur qui changent en fonction de leur performance. Tout cela est soigneusement pensé avec l’intention de travailler sur les aspects psychologiques de la personne qui est suivie par l’organisme.

Cet encadrement nous permet d’accompagner nos participants tout au long du processus, en leur apportant tout le soutien psychosocial nécessaire pour qu’ils puissent mieux maîtriser l’organisation de leur vie quotidienne.

Tous nos porte-parole culturels qui adhèrent au projet de la Revista Traços arrivent à se nourrir avec l’argent qu’ils gagnent de la vente des magazines. Toutefois, cela ne garantit pas que 100% d’entre eux quitteront la rue.

Nous imposons également un plafond pour la vente des magazines. Nos participants ne peuvent pas en vendre autant qu’ils le souhaitent, car il y a déjà eu des cas où certains ont utilisé les profits de la vente pour s’acheter de la drogue.

Par ailleurs, la vente du magazine se fait en fonction de la scolarité de chaque participant. Les montants vendus seraient l’équivalent de ce qu’ils gagneraient s’ils étaient sur le marché du travail. On peut augmenter le nombre de ventes si le participant souhaite reprendre ses études ou encore pour atteindre un objectif en particulier. Par exemple, s’il veut acheter un lit, nous lui donnerons suffisamment de magazines ainsi que tout le soutien nécessaire pour y arriver. Tout cela se fait en collaboration avec nos travailleurs sociaux et nos psychologues.

Aujourd’hui, nous avons un certain nombre de porte-parole qui ont réussi à réintégrer le marché du travail, en travaillant dans des boulangeries, des restaurants. Quelques-uns se sont inscrits à l’université. C’est notre grande fierté! Mais il faut en faire plus, car nous avons encore une grande proportion de personnes sans-abri et dépendantes de la drogue.

 

Vous venez de lire un extrait de l’édition du 1er février 2023. Pour lire le texte intégral, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot.