Mostapha Lofti
Camelot, métro Édouard-Montpetit

Il y a 92 ans… La première initiative pour célébrer le mois de l’histoire des Noirs a été prise par Carter Goodwin Woodson, en 1926. Cet historien afro-américain de Harvard instaure alors le Negro History Week. Cette semaine sera renommée au début des années 1970 la Black History Week et deviendra en 1976 le Black History Month. Au Canada, c’est Jean Augustine, première canadienne noire à être élue députée, qui présente une motion pour instaurer le Mois de l’histoire des Noirs (MHN), il y a 22 ans. Cette manifestation est si particulière et importante que le gouvernement du Québec l’a également officialisée. C’est Lise Thériault, alors ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles sous le gouvernement de Jean Charest qui, en 2006, présentera le projet de loi 39, proclamant ainsi le mois de février comme le Mois de l’histoire des Noirs.

Pour une communauté unie

Il n’y a pas une ombre de doute dans les mots de Carla Beauvais. Bien ancrée dans sa communauté et coordinatrice de la Table ronde du MHN, elle a une vue d’ensemble sur l’implication et l’intégration des siens au tissu sociétal québécois. À plusieurs égards, les communautés noires ont largement contribué à l’histoire et à l’édification du Québec et du Canada. Pourtant, à ses yeux, les perspectives d’avenir ne sont pas toutes roses. Carla Beauvais n’y va d’ailleurs pas par quatre chemins « il reste beaucoup de travail. Les statistiques sont claires. Il y a plus de chance qu’un homme blanc avec un secondaire non terminé se trouve un emploi qu’un Noir avec un baccalauréat. » La communauté doit alors rester soudée dans sa lutte pour la reconnaissance et l’intégration entière à la société québécoise.

Sous un autre angle, celui de l’implication des membres de la communauté noire dans cette lutte, Carla Beauvais a une approche critique u2014 bien que sans jugement u2014 à l’égard de l’implication de l’élite. « Il y a des gens ordinaires qui posent des gestes importants, qu’ils soient militants, médecins et autres. Ces gestes forgent notre communauté. » D’ailleurs, leur implication est valorisée chaque année pendant le Gala Dynastie qui met à l’honneur « des personnes qui contribuent à projeter une image positive et servir de modèles pour les générations montantes. » Des personnes aussi ordinaires et remarquables que Félix Zogning, arrivé au Canada en tant qu’étudiant en 2007, devenu professeur agrégé à l’Université du Québec en Outaouais moins de quatre ans plus tard ou encore Gabriella Garbeau, plus connue sous son nom de plume Gabriella « Kinté », fondatrice de la Librairie Racines, auteure et militante antiraciste. Cependant, c’est avec regret que Carla Beauvais constate également qu’« il y a aussi des personnalités noires qui ne s’impliquent pas, pour des raisons qui les concernent. » tandis que leur leadership pourrait être pertinent pour le développement de la communauté.

Une édition 2018 haute en couleur

Le tableau n’est pas si sombre, si l’implication n’est pas totale, certains artistes comme Karim Ouellet, porte-parole de l’édition 2018, acceptent sans hésiter d’adopter un rôle d’ambassadeur et de soutenir les festivités.

Car le Mois de l’histoire des Noirs ne s’arrête pas au simple aspect revendicatif et aux luttes sociales de la communauté. L’aspect festif est bien présent. Et comme le souligne Carla Beauvais, la manifestation sera « haute en couleur ». La programmation offre une grande variété d’activités socioculturelles permettant de découvrir, mais aussi de réfléchir et de s’intégrer : créations audiovisuelles, collecte de sang, tenue d’un forum économique en plus de débats autour de questions identitaires. D’autres événements indépendants sont intégrés à la programmation de la Table ronde du MHN, dont un hommage à une grande vedette noire : Prince.

Karim Ouellet

Symbole d’ouverture

Qu’est-ce qu’être Noir en 2018 ? Une question sans réponse pour Karim Ouellet, artiste, chanteur-compositeur québécois et porte-parole 2018 du MHN. Karim Ouellet est un peu globe-trotter. Il a été adopté à trois mois par des parents blancs, diplomates et éducateurs et surtout très ouverts sur le monde. D’ailleurs, il a vécu dans plusieurs pays : Rwanda, Canada, Tunisie, mais son cœur est attaché au Québec. Dans ses compositions, des tounes aux influences arabes et sénégalaises se brassent aisément avec une mélodie grecque. Une musique cosmopolite et diversifiée aux thèmes qui le sont tout autant et qui ont valu à cet artiste plusieurs reconnaissances, dont le Prix Félix-Leclerc 2013 pour la chanson L’amour et sept nominations à l’ADISQ. Karim n’a pas eu de grandes difficultés liées à sa couleur ou à ses origines. Il ne peut répondre que de sa propre expérience. « Dans ma vie, tout est beau, mais le racisme envers les Noirs existe dans tous les pays du monde, au Québec comme ailleurs. J’ai des témoignages de personnes qui se sont fait traiter de nègre dans la rue, en pleine journée. Le racisme est une absurdité mondiale. Et celui du Québec est un peu hypocrite, alors c’est difficile d’en témoigner. Les gens racistes gardent ça pour eux. » Enfin, Karim Ouellet n’a aucune appréhension quant à son rôle de porte-parole du MHN. Il le dit sans détour : « Je ne suis qu’un humble musicien ». Il pense par contre « apporter une occasion pour la communauté noire de Montréal de se réunir, de partager [ses] histoires et expériences en s’ouvrant au reste de la population. » Il pense également pouvoir être « une voix porteuse d’une histoire qui concerne, au final, tout le Québec. »