Que de chemin parcouru depuis 25 ans ! Dire que le petit groupe d’itinérants rassemblés par un stagiaire en travail social autour d’un projet d’écriture est devenu le magazine que vous tenez entre vos mains … On le doit à l’acharnement, la passion et l’amour d’autrui de nos prédécesseurs. On ne peut que leur lever notre chapeau ! J’imagine mal toutes les joies et les misères, tout le travail qu’il a fallu pour mettre ce bébé au monde.

En 1994, on passe de quelques feuilles photocopiées et agrafées, publiées sporadiquement, à la publication d’un journal de rue mensuel. Le premier numéro, celui de mai-juin 1994, imprimé sur un papier bon marché a comme devise « Rien dans les mains, rien dans les poches, mais un journal dans la tête ». Son contenu est axé principalement sur les paroles des personnes de la rue, des laissés-pour-compte, des marginaux. C’est une publication comme on n’en n’avait jamais vue auparavant à Montréal. L’Itinéraire est né et ce ne sera pas long avant qu’il ne soit reconnu et adopté par le grand public.

Au fil des ans, la facture du magazine, devenu bimensuel en 2006, s’améliore. On y retrouve davantage d’articles bien fouillés, rédigés par des journalistes professionnels qui concernent le plus souvent les enjeux sociaux en lien avec l’itinérance, la pauvreté, l’exclusion sociale. Toujours en toile de fond, les camelots s’expriment sur leur vécu, écrivent de la poésie, et certains, parfois, réalisent des entrevues.

Cependant, on constate que l’équilibre entre offrir du contenu intéressant qui plaira au grand public et respecter la mission même de L’Itinéraire, soit de donner la parole aux sans-voix est souvent très fragile. Bien que les articles de fond écrits par des camelots trouvent leur place dans la revue, cette pratique n’est pas constante. L’Itinéraire, comme n’importe quel nouveau média se cherche. À une certaine époque le magazine mise davantage sur des interviews avec des vedettes, écrits par des journalistes, au détriment des camelots qui passent au second rang.

Au cours de son existence, l’organisme L’Itinéraire a connu son lot de crises, de douleurs de croissance, un peu à l’image d’un adolescent rebelle. Roulement de personnel, frictions entre camelots et employés, ambiguïtés sur le rôle des camelots au sein du magazine, L’Itinéraire, qui était maintenant âgé dans la vingtaine vivait une période trouble.

Au cœur du magazine

Lorsque je suis arrivée à L’Itinéraire, il y a près de cinq ans, le mot d’ordre était de remettre le camelot au cœur du magazine. Et c’est précisément ce que nous avons fait. En 2015, seulement 14 % du contenu du magazine était rédigé par des camelots. Aujourd’hui, cette proportion dépasse les 45 % et peut parfois friser les 60 % ! Mais pour y arriver, il a fallu réaménager l’équipe de rédaction en mettant l’accent sur l’accompagnement et la formation des camelots. Il a fallu tisser des liens encore plus serrés avec eux et établir un climat de confiance. Cela n’a pas toujours été évident, mais ça s’est fait dans le respect. En fixant des balises, en établissant des façons de faire et en inculquant les règles de l’art du journalisme, les camelots ont su prendre la place qui leur revenait à la rédaction du magazine.

Aux journalistes professionnels qui accompagnent nos camelots quotidiennement, d’autres, venus de l’extérieur ont accepté avec enthousiasme de donner de leur temps et leurs talents à nos camelots-rédacteurs. Et depuis cinq ans, plusieurs de nos camelots ont pu peaufiner leurs compétences en faisant un stage annuel à La Presse. Ce merveilleux partenariat avec le quotidien de la rue Saint-Jacques a permis de concrétiser davantage le sérieux de l’engagement de nos participants à la rédaction.

Au cours des cinq dernières années, j’ai eu le privilège de voir progresser de nombreux participants à la rédaction. Environ 70 de nos 200 camelots actifs écrivent dans le magazine, et la plupart, de façon régulière. Parmi ceux-ci, bon nombre sont passés du simple mot de camelot à des reportages en bonne et due forme. Ils ont mené des entrevues avec des acteurs importants de la société sur des sujets tout aussi importants. De plus, ils écrivent des chroniques où ils exposent leurs idées, tout en s’assurant de la véracité et du bien-fondé de leurs opinions.

Ce faisant, ils se sont informés, ont appris et se sont exprimés sur des enjeux de société qui nous concernent tous et toutes. Ce faisant, ils ont gagné une estime de soi, une satisfaction du travail bien fait et une fierté à montrer à leurs clients ce qu’ils ont accompli. Ce faisant, ils ont pris leur place au cœur de L’Itinéraire.