Prix Claude-Brûlé 2019
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Les mal-logés et les sans-abri devront attendre. Ni Ottawa ni Québec n’entendent investir massivement avant l’an prochain dans la construction de nouveaux logements sociaux et dans la lutte à l’itinérance. Portrait de deux budgets, de deux approches à réconcilier et d’une entente qui reste à négocier. Voici l’analyse de notre camelot qui a assisté à la présentation des budgets à Ottawa et à Québec.

Comme un avion lourd qui peine à quitter la piste, la construction de logements sociaux prend beaucoup plus de temps que prévu à décoller. Tant les budgets fédéral que provincial prévoient des fonds supplémentaires pour le logement social, mais les personnes démunies devront être très patientes avant d’en profiter, car les obstacles sont nombreux.

Dans les budgets déposés en mars, il faut distinguer les annonces à plus court terme, venant surtout de Québec, des annonces à plus long terme attendues d’Ottawa et les liens entre les deux.

Au cours des dernières années, le gouvernement du Québec a promis bon nombre de logements sociaux, mais 10 000 d’entre eux n’ont pas été construits, car le budget alloué pour chaque logement n’était pas suffisant. Par exemple, l’an dernier, seulement 731 des 3000 logements annoncés sont sortis de terre.

Pour absorber des coûts de construction plus élevés que prévu, le ministre des Finances Éric Girard a augmenté de 25 % l’enveloppe disponible pour chaque logement financé par le programme AccèsLogis Québec. Et pour rattraper le retard au cours des prochaines années, 73 millions $ sont immédiatement versés à la Ville de Montréal, montant qui s’ajoute au budget déjà alloué, mais non dépensé.

Le programme AccèsLogis Québec permet à des offices d’habitation, à des coopératives d’habitation et à des organismes sans but lucratif de construire des logements sociaux, communautaires et abordables destinés aux ménages à revenu faible ou modeste, ou encore à des clientèles ayant des besoins particuliers. Le programme prévoit un partage des coûts avec la municipalité ou les coopératives.

Le budget présenté par le ministre Girard accorde aussi aux organismes communautaires axés sur le logement une aide supplémentaire de 6 millions $ par an.

On compte présentement près de 41 000 logements sociaux, communautaires et abordables au Québec. Ce nombre devrait atteindre un peu plus de 56 000 en 2025 avec l’ajout des 10 000 logements à rattraper, plus 5000 logements additionnels.

Des besoins immenses

Selon des données du recensement de 2016 fournies au FRAPRU par Statistique Canada, 244 000 ménages locataires au Québec, dont un peu moins de la moitié à Montréal, vivent dans un logement trop cher, trop petit ou délabré. Ils ne peuvent s’en permettre de meilleur, car leur revenu médian est d’à peine 17 600 $ par année.

Et les plus pauvres d’entre eux ont de plus en plus de difficulté à trouver un logement, car très peu sont libres, surtout avec plusieurs chambres à coucher. Dans la région de Montréal, le taux de logements inoccupés était de 1,9 % l’an dernier, contre 3,9 % en 2016. Il n’y presque plus d’appartements à trois chambres. On dit qu’un marché est en équilibre lorsqu’il y a 3 % de logements inoccupés.

À quand la manne fédérale?

Toutefois, si l’argent promis par Ottawa finit par débloquer, la quantité de logements sociaux pourrait augmenter considérablement.

En 2017, le gouvernement Trudeau a lancé sa Stratégie nationale sur le logement, qui prévoit des investissements totaux de 40 milliards $ sur 10 ans. L’ambitieuse stratégie vise non seulement les personnes à faible revenu, mais aussi celles de la classe moyenne qui ne trouvent pas de logement locatif abordable dans les grandes villes, particulièrement à Toronto et à Vancouver.

La stratégie vise également à réduire de 50 % l’itinérance chronique. Ottawa prévoit notamment verser plus de 7,7 milliards $ aux provinces durant les 10 prochaines années pour le logement social et communautaire.

Or, le Québec est l’une des trois provinces qui n’a pas encore signé d’entente avec Ottawa sur la façon de dépenser sa part. Un haut fonctionnaire du gouvernement du Québec explique que les négociations avec Ottawa sont toujours longues et compliquées, car le fédéral veut imposer des critères qui sont différents de ceux prévus dans les programmes du Québec.

Pour sa part, un haut fonctionnaire fédéral explique que c’est toujours long et complexe, non seulement parce qu’il faut s’entendre avec les provinces, mais parce que l’exécution se fait au niveau municipal. Et que là encore, il faut trouver des terrains libres, tenir compte du zonage, s’assurer de la présence d’écoles, lancer des appels d’offre, surveiller les chantiers, etc.

Un obstacle supplémentaire est le niveau élevé d’activités dans l’industrie de la construction. Il faut trouver des entrepreneurs qui ont des équipements et des employés disponibles et qui ne chargeront pas trop cher.
Mais l’avion fédéral aura-t-il le temps de décoller avant les élections de l’automne prochain ? Il faut se rappeler que le gouvernement Harper avait coupé tout le financement au logement social en 2006. Qu’arrivera-t-il si les Libéraux perdent et que les Conservateurs reprennent le pouvoir ?

Peut-être pour tenter de leur forcer la main, le budget du ministre des Finances Bill Morneau prévoit que le gouvernement adoptera une nouvelle loi pour exiger le maintien d’une « Stratégie nationale sur le logement qui accorde la priorité aux besoins de logements des plus vulnérables et qui exigera la présentation de rapports réguliers ».

Des miettes ou des milliards pour l’itinérance ?

Peu après le discours sur le budget, le gouvernement fédéral a lancé Vers un chez soi, un nouveau programme de 2,2 milliards $ qui vise à réduire de moitié l’itinérance chronique à travers le pays.

Les détails n’étaient pas connus au moment de mettre sous presse, mais le document budgétaire précise qu’à compter de 2020, une nouvelle Allocation canadienne pour le logement de 4 milliards $ fournira une aide financière directement à ceux qui ont un besoin urgent de logement. À terme, cette aide devrait soutenir 300 000 ménages canadiens.

Cette enveloppe fait également partie des négociations qui ont cours avec le gouvernement du Québec afin que la prestation soit adaptée aux réalités et aux besoins divers de l’ensemble du pays.

En attendant sa part de la manne fédérale, Québec augmente à peine le budget de son programme de Supplément au loyer du marché privé à une clientèle en situation d’itinérance. Ce programme permet à ces personnes de ne pas payer plus de 25 % de leur revenu pour un loyer dans un appartement privé. C’est équivalent à l’effort qui est demandé aux gens qui occupent un HLM.

Avec ce programme, Québec prévoit cette année n’aider que 150 personnes de plus en situation d’itinérance.

Ce programme est critiqué par certains parce qu’il favorise des propriétaires privés, plutôt que d’augmenter le nombre de HLM. Cependant, il ne coûte pas cher, du moins à court terme, et il est rapide à implanter. Le Supplément au loyer aide réellement des personnes dans le besoin, dont plusieurs camelots de L’Itinéraire.