Ne voulant plus être la poubelle de la planète en matière de recyclage, la Chine a resserré ses normes de qualité et engendré une crise du recyclage en Amérique du Nord. Le Québec est particulièrement touché.
Il est loin le temps où l’on mettait tous nos déchets dans une poubelle en attendant que le camion à ordures les avale. Au milieu des années 1990, la collecte sélective des matières recyclables a fait son apparition à Montréal. Des centres de tri se sont implantés pour traiter le carton, les journaux, le papier, le verre, le plastique et le métal.
Au Québec, cette collecte coûte 150 millions $ par année. Les 27 centres de tri de la province récupèrent un million de tonnes de matières recyclables par année, ce qui équivaut à 100 000 camions à ordures, dont 700 000 tonnes de papier.
Politique chinoise contraignante
Pendant longtemps, plus de 60 % des déchets récupérés étaient envoyés en Asie, principalement en Chine. Mais depuis l’automne dernier, le pays a changé sa politique en matière d’importation des déchets. Désormais, le plus grand importateur de matière recyclée au monde ne veut plus s’embarrasser de papiers ou plastiques contaminés.
On parle de matière contaminée lorsque le papier a été au contact de nourriture souillée, comme un pot de yogourt ou de beurre d’arachide. Cela arrive lorsqu’un usager ne vide pas ou ne rince pas les contenants destinés au bac vert.
Aujourd’hui, la Chine accepte les ballots de papier et de plastique qui ont un taux de contamination inférieur à 1 %. Avant la nouvelle réglementation, ce taux se situait entre 15 et 20 %.
Cette mesure affecte grandement l’industrie québécoise du recyclage, dont les 27 centres de tri de la province. Ces derniers ne peuvent plus vendre la matière récupérée sur le marché chinois, ceci engendrant d’importantes pertes. Les matériaux qui ne s’envolent pas vers la Chine se retrouvent bien malgré eux dans les dépotoirs québécois.
Le rôle des papetières
Pour faire face à cette menace économique, le Québec doit réfléchir à des façons d’assurer son autonomie pour ne plus dépendre des marchés asiatiques. « On devrait tout faire pour que les matières qu’on récupère au Québec y restent le plus possible », affirme Karel Ménard, directeur général du Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets (FCQGED).
Pour ce faire, il faudrait que les papetières québécoises soient en mesure de recycler davantage de carton et de papier récupérés par les centres de tri de la province.
Aujourd’hui cependant, en raison de la contamination des matières récupérées, une grande partie d’entre elles ne peut pas non plus être acceptée par les papetières québécoises.
La papetière Kruger, par exemple, est un important joueur du secteur. Chaque année, elle recycle au total 700 000 tonnes de matières, dont 71 % de carton et 29 % de papier.
À présent, elle s’approvisionne dans la province seulement à hauteur de 40 %. Faire plus serait dans son intérêt. « En misant davantage sur le marché local, cela nous permet de diminuer notre empreinte écologique et nos émissions de gaz à effet de serre, affirme Paule Veilleux-Turcotte, conseillère aux affaires corporatives et communications chez Kruger, en plus d’éviter des défis logistiques de transport de la matière. »
Mais ce n’est pas si simple. « En théorie, avec nos besoins d’approvisionnement actuels, les installations de Kruger ont la capacité de consommer des matières recyclées provenant exclusivement du Québec, poursuit-elle. Toutefois, puisque la qualité et la disponibilité des matières ne sont pas au rendez-vous pour le moment, il n’est pas possible pour nous de consommer davantage de matières recyclées dans la province. »
Repenser la collecte sélective
Pour permettre aux papetières de recycler davantage de matière, il faudrait que les centres de tri de la province soient en mesure de décontaminer eux-mêmes les matières récupérées.
Or, la décontamination passe inévitablement par la séparation des matières, ce qui requiert une machinerie très performante, dont tous les centres de tri ne disposent pas. « Les sacs de plastique peuvent être lavés, ce qui leur permet d’être revendus sous la forme de petites billes de la grosseur d’un bout de doigt, explique Richard Mimeau, directeur général du Conseil des entreprises en technologies environnementales du Québec (CETEQ). C’est, par exemple, l’un des moyens de décontamination utilisé par l’entreprise de fabrication de plastique Enviroplast, située à Anjou. »
Autre solution envisagée : repenser la collecte sélective en amont, c’est-à-dire par l’intermédiaire de chaque usager.
Il serait possible, par exemple, d’utiliser une cloison dans les bacs à recyclage pour séparer le papier du verre et du plastique. « Aujourd’hui, on récupère de façon pêle-mêle, ce qui crée de l’inter-contamination, et la qualité s’en trouve rabaissée », note M. Ménard, du FCQGED.
Une meilleure récupération des matières
Cette solution pourrait résoudre davantage de problèmes que celui du papier, affirme M. Ménard. « Aujourd’hui au Québec, le verre récupéré dans la collecte sélective n’est pas du tout recyclé en verre au Québec ; il prend le chemin du dépotoir », déplore-t-il.
En séparant le verre du reste des matières potentiellement recyclables, comme le font, entre autres, la plupart des pays européens, on pourrait éviter de perdre des tonnes de verre chaque année.
Plutôt que de le jeter, Karel Ménard évoque également la possibilité de consigner davantage les contenants, notamment les bouteilles de vin ; une solution déjà appliquée partout au Canada, sauf au Québec et au Manitoba. « Il devrait y avoir une consigne sur les bouteilles de la SAQ. Le verre est un contaminant pour les autres matières. Si on le recyclait [via un processus séparé], cela aurait un impact positif sur la qualité du papier [recyclé]. »
Des centres de tri disparates
Dans cette crise du recyclage qui frappe de plein fouet le Québec depuis presque un an, tous les centres de tri ne font pas face aux mêmes difficultés. De fait, certains centres vendaient beaucoup à la Chine, quand d’autres écoulaient surtout leur matière sur le marché local.
Les centres de tri qui ont développé des ententes locales sont ceux qui s’en sortent le mieux. Mais les centres de tri gérés par des entreprises privées et dont le modèle d’affaires repose principalement sur l’exportation en Asie, tels que les centres de Montréal, Saint-Hubert, Châteauguay et Sherbrooke, font face à de grandes difficultés.
« On dirait que, de tous les millions alignés en 2008-2009 lors de la première crise des centres de tri, seulement quelques centres de tri ont compris le message, alors que d’autres n’ont absolument rien compris, s’étonne Marc Olivier, professeur et chercheur en gestion des matières résiduelles de l’Université de Sherbrooke, sur les ondes de Radio-Canada. Est-ce qu’ils méritent encore qu’on leur refile des millions parce qu’ils ne font pas bien leur job ? »
Investir pour améliorer la qualité
Pour les centres de tri qui travaillaient principalement avec la Chine, l’effort de résilience va être considérable. Or, il est difficile d’imaginer que ces centres puissent s’en sortir sans un soutien public.
Au début de l’année, l’administration Plante a décidé d’injecter 29,2 millions $ dans le centre de tri de Montréal, menacé de fermeture. Le gouvernement du Québec a aussi investi plus de 14 millions $ dans les derniers mois, afin d’améliorer la qualité de la matière issue de la récupération et de diversifier les débouchés de la matière triée. Cette somme s’ajoute aux 25 millions $ investis par le gouvernement dans les centres de tri au cours des 10 dernières années.