En 2014, Médecins du Monde a mis en place la première clinique mobile d’Amérique du Nord. L’objectif du projet : offrir des soins à un public largement exclu du parcours de santé traditionnel.
C’est une petite camionnette blanche qui sillonne les rues de Montréal, été comme hiver. À son bord, médecins bénévoles et infirmières se relaient pour créer des liens privilégiés avec une population locale, fragile et souvent itinérante.
Jeunes de rues, Autochtones, toxicomanes, travailleurs ou travailleuses du sexe, les patients de la clinique mobile ont des parcours variés, mais partagent les mêmes difficultés pour accéder au système de santé traditionnel. « La majorité de nos patients pourraient aller consulter un praticien classique, explique Marie-Jo Ouimet, médecin bénévole engagée depuis 2009. Mais beaucoup ne le font pas, ou ne le font plus. » En cause, souvent, une forme de méfiance vis-à-vis du système. « Il arrive que ces personnes reçoivent un accueil mitigé dans le système de santé traditionnel. Elles s’y sentent souvent jugées et se plaignent parfois de ne pas recevoir les soins dont elles ont besoin. »
L’équipe de Médecins du Monde n’a pas attendu 2014 pour accompagner ce public marginalisé. Depuis 1999, des infirmières dévouées parcourent Montréal pour aller à sa rencontre. « Longtemps, les infirmières intervenaient à pied. Elles arpentaient la ville avec leur sac à dos rempli de médicaments et de pansements. » Un accompagnement efficace, mais pas idéal pour pratiquer un examen gynécologique, ou pour prélever un échantillon d’urine.
Un lieu digne
C’est pour pallier cette absence d’intimité que Médecins du Monde a décidé d’investir dans une clinique itinérante. « Dès le départ, l’objectif de la clinique mobile était de proposer un lieu digne, à l’abri des regards, où nos patients pourraient se faire accompagner sans jugement », continue Mme Ouimet.
Divisée en deux espaces, la clinique se présente comme un véritable petit cabinet médical. On y entre par l’arrière, où une salle d’attente a été installée. A l’avant, la salle de soin dispose d’une porte, qui rend l’espace confidentiel, et propice à un accompagnement personnalisé. « On s’arrange pour que nos patients aient le temps de verbaliser ce qu’ils ont à verbaliser. Les bobos ne sortent pas toujours du premier coup. Les gens sont parfois gênés, ils ont honte. »
Pour assurer un service de qualité, l’équipe est toujours composée d’au moins deux personnes : une infirmière et un intervenant psychosocial bénévole formé pour l’occasion. Ce dernier assure l’accueil des patients. Les médecins, quant à eux, sont présents de manière plus ponctuelle. « Le gros du travail est assuré par les infirmières. Nous, les médecins, sommes là moins fréquemment. En général, on nous appelle pour prescrire des traitements, pour pratiquer une intervention médicale spécifique ou pour poser un diagnostic plus poussé. »
Pour Mme Ouimet, qui s’est engagée comme médecin bénévole par conviction, le lien avec ces patients est un privilège : « les gens sont très reconnaissants. Ils sont contents de venir nous voir et ils nous le font sentir ».
Les maux de la rue
Parmi les maux que les équipes sont amenées à traiter, beaucoup sont inhérents à la vie dans la rue. L’hiver, il n’est pas rare que les patients souffrent d’engelures ou de bronchites. L’été au contraire, les patients viennent souvent consulter pour des problèmes de peau brûlée ou de déshydratation. Il arrive aussi qu’infirmières et médecins doivent faire face à des infections liées à une consommation régulière de drogue, ou pratiquer des dépistages.
Pour autant, l’objectif n’est pas de se substituer au système de santé public : « l’idée n’est pas de soigner à tout prix. Nous ne pouvons pas pratiquer de suivi lié à des maladies chroniques ou des pathologies psychosociales complexes, explique Mme Ouimet. Nous ne pouvons pas non plus pratiquer de chirurgie. Notre rôle à nous, c’est plutôt de tout faire pour créer des ponts avec le système de santé traditionnel. »
Un rôle de catalyseur donc, qui se manifeste parfois par le fait d’emmener directement ceux qui en ont besoin à l’hôpital. « On se rend compte que les personnes que nous suivons sont beaucoup mieux soignées lorsque nous les accompagnons sur place. »
Jusqu’à tard le soir
Cette flexibilité est la force de la clinique mobile. Ainsi, cinq jours par semaine, la camionnette blanche circule entre différents quartiers de l’île de Montréal, parfois jusqu’à minuit ou une heure du matin.
De fait, les horaires de service sont variables. Déterminés à l’avance avec les partenaires communautaires locaux, ils dépendent principalement du type de public visé. Dans Hochelaga-Maisonneuve par exemple, le personnel médical s’adresse principalement à des travailleurs et travailleuses du sexe, accessibles plutôt en fin de journée. Au contraire, dans le quartier de Parc-Extension, il n’est pas rare qu’il s’agisse de personnes migrantes davantage disponibles l’après-midi.
À l’origine, ces personnes migrantes n’étaient pas le public visé par la clinique. Mais au Canada, nombre d’entre elles n’ont pas le droit à une couverture médicale et doivent se tourner vers ce type de services.
À ce titre, la clinique mobile s’engage à apporter des soins aux exclus du système, peu importe leur condition. « On fait un premier tri pour s’assurer que la personne a bien besoin de nous, poursuit Maire-Jo Ouimet. On lui pose quelques questions de base sur sa situation. » Pour autant, pas question d’exiger un nom de famille, une pièce d’identité ou une carte d’assurance maladie. Pour identifier les patients, un prénom ou un surnom suffisent.
Comprendre les problèmes de la ville
Cet enregistrement respectueux de l’anonymat de chacun a été rendu possible par un système électronique de pointe. À la création de la clinique, Médecins du Monde s’est associé à Telus, qui a créé pour l’organisme un système de dossiers médicaux électroniques sur mesure. Ainsi équipées, les équipes peuvent non seulement assurer un suivi des patients en toute confidentialité, mais aussi produire toute une gamme de statistiques.
Une manière efficace de dresser un portrait clair de la situation des personnes en grande précarité à Montréal et de déceler l’augmentation d’une infection, dans un quartier donné. Il y a quelques années par exemple, l’équipe médicale a commencé à intervenir dans le quartier de Côte-des-Neiges. Très vite, elle a réalisé que la situation était alarmante, en termes d’accès aux soins et a pu avertir la direction de la santé publique.
Ainsi, la création de la clinique mobile a permis une vraie réflexion sur la nécessité d’intervenir au plus près de patients marginalisés. « À l’époque où la clinique a été créée, c’était loin d’être facile pour une personne qui cherchait des soins de santé. Beaucoup étaient dégoûtées par le système. Aujourd’hui, les choses évoluent. Il y a davantage de services de proximité. Reste qu’on apporte quand même un vrai plus en termes de souplesse : on va où les gens sont, on n’impose rien », conclut Marie-Jo Ouimet.
L’année dernière, près de 2500 personnes ont bénéficié des services de la clinique mobile. Un modèle efficace, au point que Médecins du Monde inaugure ce printemps une seconde clinique ambulante à Victoria, en Colombie-Britannique.