Qu’on les aime ou non, les cheveux bouclés naturellement type « afro », c’est-à- dire sans tresses, mèches ou extensions, ne sont plus le seul critère de beauté des afrodescendants. Dans les années 1960, aux États-Unis, ce qui était le début du mouvement contemporain « Nappy » — [contraction des mots « natural » et « happy »] — avait pour vocation de libérer les chevelures des lissages, tressages et autres artifices pour s’affirmer dans son unicité. Passé l’effet de la mode, de plus en plus de femmes et d’hommes refusent de défriser leurs cheveux et clament fièrement Black is beautiful !

Mais, la texture des cheveux ne suffit pas à définir l’identité afro-descendante. Et parfois, elle peut être échaudée par le manque de mélanine, ce pigment qui colore la peau, jusqu’à causer des troubles qui se révèlent au su et au vu de tous, créant des complexes à cacher. Et si nous changions nos standards de beauté ?

 

Être soi, jusqu’au bout des cheveux

Quand elle était enfant, Sabrina Larive n’aimait pas ses cheveux bouclés. La plupart du temps, elle les tressait. Hormis sa période «wave», une permanente qui l’a réconcilié momentanément avec ses frisottis, ce n’est qu’en arrivant au Québec, dans la Capitale-Nationale, qu’elle a décidé de porter ses cheveux au naturel.

« Adolescente, quand j’avais mon wave, je pensais que mes cheveux étaient comme ceux des Caucasiens, alors je les lavais tout le temps, trop souvent même, et je n’avais pas les bonnes pratiques », se souvient la jeune femme de 31 ans.

Résultat inévitable après quelques mois : Sabrina Larive a dû tout couper pour éviter les chutes de cheveux. Comme elle n’assumait pas cette coupe trop courte à son goût, et qu’elle craignait le regard des autres jeunes de son âge à un moment de l’adolescence où l’affirmation de soi passe à la trappe, elle est restée plusieurs années avec des mèches blondes et autres artifices sur la tête.

Une fois ses études finies, Sabrina Larive a travaillé comme enseignante et a fait le tour des écoles de la Capitale-Nationale. Elle se faisait appeler «Madame Caramel» par les enfants plus petits. Ils contestaient, avec innocence sans doute, la couleur de sa peau qu’ils ne considéraient « pas vraiment noire». Et, avec sa coiffure qui changeait au gré de ses apprentissages autodidactes, l’enseignante prenait le temps d’expliquer sa couleur et son type de cheveux, toujours avec bienveillance.

Comme plusieurs de ses amies, elle faisait venir ses produits capillaires des États-Unis et se déplaçait occasionnellement à Montréal pour des achats.« Dans mes classes, je voyais des enfants métissés avec des cheveux rasés et leurs parents se disaient désarmés, car ils ne savaient pas comment lescoiffer. Certains enfants avaient leurs cheveux pognés ensemble ou des mèches. J’ai donc lancé mon entreprise, Yafeh, pour proposer des produits à Québec. J’ai aussi coiffé des clients, hommes et femmes, je me suis ajustée à la demande. Je voulais faire quelque chose pour aider les afrodescendants à s’accepter tels qu’ils sont, avec leurs cheveux à l’état naturel. »

Au début, son entreprise n’avait pas de plan d’affaires. Sabrina Larive s’est lancée dans le vide, avec des amis qui l’ont aidée en communication ou comptabilité. « Mes cheveux sont importants, c’est mon héritage et je suis fière de ce avec quoi je suis née. J’ai appris à m’aimer comme je suis, sans artifices et c’est un sentiment qui s’est affirmé encore plus quand j’ai eu mes filles ici, au Québec. Oui, elles ont des cheveux différents de leurs amis, mais elles sont autant Québécoises qu’eux. Je veux qu’elles grandissent en aimant leurs cheveux, je veux faire partie de la solution », ajoute la Martiniquaise d’origine.

 

Assumer ses boucles

À 36 ans, Melissa Dubé-Quenum assume enfin ses cheveux au naturel. Fille d’une Gaspésienne et d’un Béninois, elle a grandi à Sept-Îles, à une époque où les produits capillaires adaptés à ses cheveux étaient bien plus rares qu’aujourd’hui. « J’arborais la petite coupe afro, sans aucun produit et je me lavais les cheveux avec n’importe quel shampoing et c’ était l’ horreur quand je devais les démêler. J’avais mal, rien qu’en pensant au peigne. Et puis l’afro était souvent mal perçu, on disait des choses méchantes sur moi, alors j’ai accepté de me faire tresser. »

Elle a réussi à passer au travers du secondaire grâce à une sœur missionnaire qui lui faisait des tresses collées à la tête. Puis elle a grandi et sans modèle de sa couleur de peau ou avec son type de cheveux dans son entourage, ce n’était pas toujours facile de trouver une solution capillaire adaptée. « On a failli me raser la tête, car on n’arrivait pas à me démêler les cheveux. Et après j’ai découvert le défrisant qui rendait mes cheveux lisses et plats, mais j’ai fini par en perdre et à faire des réactions aux produits chimiques : ça me grattait, ma peau réagissait mal et c’ était douloureux. ». Par le bouche à oreille, elle a appris à maîtriser ses cheveux. Elle a fini par assumer ses boucles et est passée au naturel.

 

Retour à soi

Pour la coiffeuse Nancy Falaise, spécialisée dans les soins des cheveux frisés et bouclés, le retour au naturel peut être imagé comme une façon de retourner à soi. « La femme afrodescendante, les femmes aux cheveux frisés ont eu un déclic. Elles ont réalisé qu’elles étaient belles au naturel, que ce soit avec leurs cheveux, la couleur de leur peau ou leurs formes », croit celle qui a lancé une pétition en pleine pandémie pour réclamer des cours de coiffure plus inclusifs dans les écoles.

Si à Montréal, il est facile de trouver les bons produits dans les salons spécialisés, il reste encore du travail à faire pour cette coiffeuse qui regrette la méconnaissance autour des soins à donner aux cheveux bouclés dans les salons de coiffure. « Personne n’enseigne dans les écoles de coiffure comment travailler avec les cheveux frisés ou bouclés. Plein de femmes noires ne savent pas coiffer leurs propres cheveux et plein de coiffeurs ne savent pas coiffer ces types de cheveux. Il est là le plus gros du travail à faire après la prise de conscience. »

 

Histoire des cheveux

Pour Abisara Machold, fondatrice du salon InHairitance, s’il y a aujourd’hui plus de modèles qui servent d’inspiration, il reste encore du chemin à faire. « Nos cheveux sont liés à notre histoire. Dans les temps précoloniaux, nos cheveux ont servi à définir notre ethnie et statut dans la société. Dû à l’holocauste noir et l’esclavage, notre savoir-faire a été perdu et remplacé par les techniques de lissage des cheveux bouclés naturels. La mémoire collective de cette histoire s’exprime aussi dans les différentes façons de tresser, c’est un héritage qui a survécu », raconte-t-elle.

Cette histoire explique la raison pour laquelle des mots forts sont employés comme « une renaissance » ou «un voyage». « C’est une façon de se réapproprier tout un savoir capillaire qui représente aussi une célébration de son héritage », explique Mme Machold. Au Spa de boucles Inhairitance, elle « veut offrir des choix différents aux modèles standards de beauté et le but n’est pas de convaincre que le naturel vaut mieux qu’un autre style. Il n’y a pas de look prédéfini pour être beau, belle ou professionnelles. C’est important d’assumer ses cheveux avec bienveillance, de comprendre leur propre parcours. La façon dont on parle de nos cheveux va souvent avec la façon dont on parle de soi, ce n’est pas juste un sujet cosmétique, c’est aussi un sujet politique. »

 

L’effet pandémie

Avec la fermeture des salons de coiffure au cours de la pandémie, certaines personnes ont été désarmées par rapport à l’entretien de leur chevelure. « Certaines sont retournées au lissage, d’autres ont continué d’assumer leurs cheveux naturels en respectant un rituel capillaire ou en se procurant différents produits en ligne. Les personnes qui avaient l’habitude de venir régulièrement au salon étaient peut-être surmenées au début mais elles ont fini par apprendre comment suivre une routine capil- laire, mais surtout de créer un lien avec leurs couronnes », explique Mme Machold.

Et à Nancy Falaise d’ajouter que l’effet de la pandémie n’est pas uniquement capillaire. « Je ramasse à la petite cuillère certaines de mes clientes qui n’ont plus été capables de s’occuper de leurs cheveux sans venir au salon. Il y a un désespoir quant à la vie et cela affecte beaucoup la beauté des cheveux. Quand on ne se sent pas bien en dedans, ça se voit à l’extérieur. »