Quand Michel Rabagliati s’est présenté au deuxième étage de L’Itinéraire, c’est moi qui l’ai accueilli et avec son visage tellement sympathique, je me suis sentie très à l’aise. Je lui ai proposé de prendre son manteau et les mots ont fusé tout seuls de ma bouche. Je lui ai dit : « En tout cas, vous êtes pas mal plus beau que Paul votre alter ego de vos bandes dessinées ! » Il m’a répondu : « Merci pour le compliment, je vais le prendre avec plaisir. » Le tout avec un large sourire. Ça commençait bien l’entrevue.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus quand vous commencez une nouvelle bande dessinée ?

C’est de raconter une histoire. On pense souvent que les auteurs de bandes dessinées sont motivés par les dessins, moi c’est vraiment par l’histoire. J’utilise le médium de la bande dessinée parce que j’ai un peu de talent en dessin et un peu de talent en écriture. Donc, c’est l’envie de raconter, de parler à quelqu’un. Le quelqu’un, c’est un lecteur qui est à l’autre bout qui, comme pour votre magazine, va nous lire éventuellement. Je trouve ça intéressant comme médium. C’est comme une pièce de théâtre. Je commence par l’écriture. Je prends beaucoup de notes, j’écris des idées, ensuite je fais un synopsis. Le synopsis me prend deux à trois mois à compléter et quand c’est fait, je passe au découpage. C’est une mise en scène dessinée au plomb. Puis, je fais le crayonnage, encore au plomb, et ensuite, je fais l’encrage. Un livre de 200 pages me prend de deux à deux ans et demi à faire.

Vos dessins exploitent la technique de la ligne claire propre de la BD belge et ils sont en noir et blanc. Avez-vous déjà eu envie de changer de style ou de faire une BD en couleur ?

Je n’ai pas envie de faire des BD en couleur parce que j’ai travaillé en tant qu’illustrateur de magazines et je sais le temps que ça demande. Dans le cas de la bande dessinée, ce qui m’intéresse, c’est de raconter en longueur et je trouve que la couleur n’ajoute rien. Moi ce que j’aime, ce sont les histoires assez longues. Ce n’est pas commun des BD de 150 ou 200 pages. Le format franco-belge est habituellement de 44 pages couleur. Déjà que ça me prend plus de deux ans, si je faisais mes BD en couleur, ça me prendrait une année de plus. Je pense que ça ne vaut pas le coup et ça ne ferait pas une meilleure histoire, pas dans mon cas. C’est ma philosophie et personne ne m’a dit qu’ils aimeraient mieux que mes BD soient en couleur, qu’ils auraient plus de plaisir à les lire. Mes Paul ne sont pas une performance de dessins. Je me compare à Schulz, avec Snoopy et Peanuts. C’est semblable. C’est comprimé. Ce qui compte c’est le contenu, pas vraiment le contenant. Si je me mets à dessiner des chandails bleus et des pantalons rouges, est-ce que ça va donner une meilleure histoire ? Je ne pense pas. Pas dans mon cas.

Vous avez tendance à vous inspirer de votre propre vie. Même si la BD demeure très drôle, Paul à la maison est plus sombre que les précédents volumes. Vous avez dit en entrevue que c’était les contrecoups de votre rupture avec votre femme. Est-ce que c’est difficile émotivement de s’inspirer ainsi de son vécu ?

Oui effectivement, c’est difficile à faire parce que c’est un piège émotionnel. Tu te dis, je vais replonger dans mes souvenirs, ai-je vraiment envie d’ouvrir cette boîte-là ? Dans ma série des Paul, je n’avais presque plus rien à raconter, alors j’ai pris le pari de raconter cette histoire. En fait, j’ai longtemps hésité avant de la raconter. Mais, j’ai réalisé que l’idée n’était pas de parler de la séparation, mais plutôt de parler de post-séparation, des contrecoups. On ne voit pas la séparation. L’histoire commence, Paul est seul, et après cinq à six cases, on comprend ce qui s’est passé et c’est avec cette clé que j’ai pu raconter l’histoire. Mais tout au long de la fabrication du livre, j’avoue que j’ai trouvé ça difficile d’en parler.

Michel Rabagliati et Linda Pelletier

Photo : Alexandre Duguay