Alors qu’il planifiait la rentrée scolaire, le ministère de l’Éducation (MEQ) a réalisé que les écoles primaires et secondaires n’auraient pas assez de profs et qu’il fallait agir rapidement.

Le Ministère a ratissé large : appel aux profs à la retraite, permis probatoires d’enseigner aux étudiants en pédagogie, et même l’embauche de suppléants diplômés du secondaire. En tout, 600 nouveaux professeurs.

Selon le MEQ, il manque toujours 130 personnes pour combler des postes d’enseignants à temps plein. Sauf que si l’on considère tous les postes de professionnels à l’école, ce serait plus de 1400 qui manqueraient dans le réseau, selon l’un des présidents régionaux de la Centrale des syndicats du Québec, Jean-François Gaumont. Et ce sera pire l’an prochain.

Le problème apparaît au cégep lorsque des étudiants qui souhaitent devenir professeurs commencent à s’enquérir de la formation requise pour le devenir. De plus, la comparaison Québec-Ontario en décourage plusieurs.

La longue formation des profs

En Ontario, après le collège, il faut un an ou deux, selon les cas, pour pouvoir enseigner. Au Québec, on parle d’une formation d’une durée de quatre ans après le cégep.

Et si l’on obtient d’abord un baccalauréat en sciences ou en histoire ? En Ontario, il faut y ajouter une seule année de pédagogie.

Et au Québec ? Jusqu’à tout récemment : quatre ans de pédagogie. « Personne ne veut avoir à faire quatre ans d’université pour enseigner alors qu’il vient de terminer un baccalauréat », clame Paul Bourgeois, enseignant au secondaire 1.

Devant le manque chronique de profs, les quatre années ont été réduites à une année après le baccalauréat. Mais il était trop tard. Paul Bourgeois explique : « En d’autres mots, ils ont découvert que c’était trop long, mais cela a provoqué un retard qui sera difficile à rattraper. On était mal parti pour faire face aux abandons et aux nombreux départs à la retraite. »

Les médias ont rapporté des taux dramatiques d’échecs en français. Les facultés des sciences de l’éducation ont promis de s’en occuper. Effectivement, les taux de réussite ont augmenté. Puis les médias, toujours eux, nous ont appris que les futurs profs pouvaient reprendre le même examen de français chaque année pendant leurs quatre années d’étude. Les journalistes ont posé des questions, encore sans réponses sur les connaissances des étudiants acceptés en pédagogie.

Sauf qu’on exige toujours quatre ans après le cégep. Dans le milieu, on sait qu’il est préférable de faire une maîtrise dans une discipline et d’aller enseigner dans un cégep où l’on ne demande pas un seul cours de pédagogie préalable : le salaire est meilleur, les conditions de travail aussi. Quand les aspirants profs comparent les prérequis et les conditions de travail des divers niveaux (primaire, secondaire, collégial), la tentation d’opter pour une carrière d’enseignant au cégep est plutôt forte.

Entrevue Guy Rocher

Québec 1961.
25 % des enfants de 15 ans ne vont pas l’école. La durée moyenne de scolarisation des plus de 30 ans est inférieure à sept ans. Seulement 13 % des jeunes Québécois francophones complètent leur 11e année (5e secondaire). À peine 4 % poursuivent des études universitaires (11 % des anglophones). Deux ans plus tard, la Commission Parent sur l’éducation remet son premier rapport. « L’État québécois commence », dit le sociologue Guy Rocher, qui faisait partie de cette commission.

Depuis, son apport à la société québécoise a été majeur. Il a contribué, comme acteur, mais aussi comme observateur, aux grands débats du Québec moderne : laïcité de l’État, formation des écoles secondaires publiques, création des cégeps, fondation de l’UQAM, intro-duction de la loi 101.

Au bout du fil, l’homme de 98 ans ne semble pas vieillir, ses propos non plus. Il a gentiment accepté de nous accorder une entrevue, precisant : « J’aime beaucoup lire L’Itinéraire quand je le trouve ! »

Bilan de 60 ans d’observations de notre système scolaire.

Parlez-nous des grands moments de l’évolution de l’éducation au Québec

D’abord, la Révolution tranquille (années 1960-70), une époque où l’État québécois a décidé de :

  • Créer le ministère de l’Éducation pour prendre la place de l’Église catholique qui tenait l’ensemble de l’éducation, de la maternelle à l’université. L’État québécois a dit « maintenant ce sont des institutions démocratiques ».
  • Rendre les écoles secondaires publiques gratuites. Jusqu’alors, il n’y avait que des écoles secondaires privées (les collèges classiques) coûteuses, et peu nombreuses. Ce changement a permis à la jeunesse québécoise de s’instruire au-delà de l’école primaire.
  • Créer des cégeps, des institutions supérieures pratiquement gratuites, qui permettaient aux garçons et filles de poursuivre des études supérieures ou de se préparer au marché du travail avec leurs nombreuses options professionnelles. J’observe les cégeps depuis 50 ans. Ils constituent des pôles économiques, culturels, sociaux et permettent aux jeunes de s’instruire sur place, dans les régions. C’est un grand succès !

Enfin, en 1999, ce fut la transformation des commissions scolaires qui étaient confessionnelles (catholiques ou protestantes) en centres de services scolaires linguistiques. On complétait la sécularisation de tout le système d’éducation avec ça.

Par ailleurs, j’ai été très opposé à l’abolition des commissions scolaires et à la disparition des élus. D’ailleurs, les anglophones les ont gardées alors que du côté francophone, on les a remplacées par des agences bureaucratiques. Ce n’est pas parce que les gens ne vont pas voter qu’ils ne veulent pas des commissions scolaires démocratiques.

Le grand objectif de la Commission Parent, c’était l’égalité des chances pour toutes et tous en éducation. Tout le rapport se résume à cet objectif et à se donner les moyens d’en arriver là.

Or, je constate que nous n’avons pas réussi ça parce que progressivement, nous avons laissé se développer un système d’éducation à trois vitesses.

C’est une grande erreur, car nous avons maintenant au Québec, le système d’éducation le plus inégalitaire du Canada. C’est une trahison de l’objectif, envers tous ceux qui ont voulu un système d’éducation pour tout le monde. Tant qu’on ne touche pas à ça, on ne touche pas à l’essentiel.

Le privé prend les meilleurs élèves et l’école secondaire publique développe des programmes pour les « deuxièmes meilleurs » et puis il reste les moins bons, tout seuls, dans la troisième partie du système scolaire. Après on dit : « il y a du décrochage, de l’analphabétisme ». Oui mais pourquoi ? Parce que nous avons un système d’éducation élitiste comme dans les années 1960, nous n’avons pas avancé, nous avons reculé.