Un des nôtres est décédé subitement le 3 janvier dernier. Stéphane Avard était l’un de nos rares camelots qui était en réelle situation d’itinérance. Il avait une peur bleue des refuges, craignant (à tort ou à raison) la proximité, les punaises de lit, la violence, les règlements qu’il jugeait trop contraignants et le vol de ses quelques possessions matérielles.

Stéphane était un être lumineux. Nous tous, employés et camelots qui le côtoyions à L’Itinéraire pouvions affirmer qu’on avait chacun un lien spécial avec lui. Quand Stéphane te parlait, c’est comme si tu étais la seule personne au monde. Il avait un regard franc, un regard doux. Certains jours il avait une tristesse insondable au fond des yeux. Et souvent, il était fatigué. Parce que la rue ça te magane un homme. À seulement 51 ans, il était usé par sa vie.

On avait bien tout essayé pour mettre un toit au-dessus de la tête de Stéphane. On lui a même offert les clés d’une chambre où il aurait pu au moins dormir au chaud. Mais c’était peine perdue. Stéphane était incapable de se retrouver seul entre quatre murs, même si nous étions là pour l’accompagner.

Pas une question de volonté

J’entends souvent cette remarque à propos des personnes en situation d’itinérance : « Y’en a qui veulent pas sortir de la rue ». C’est vrai, il y a des hommes (ce sont surtout des hommes) qui ne veulent pas sortir de la rue. Faut voir pourquoi et qu’est-ce qu’il y a derrière ça.

Souvent, cette affirmation est une façon de se dédouaner ou d’éviter de parler de cette dure réalité. C’est un peu comme dire que les gens qui persistent à vivre dans la rue l’ont cherché, qu’ils sont responsables de leur sort. Mais à quel point le sont-ils vraiment ?

La vaste majorité, pour ne pas dire pas mal tous les itinérants souffrent d’une forme ou d’une autre de troubles de santé mentale, incluant l’alcoolisme et la toxicomanie. Or, il y a encore trop de gens qui croient que ces deux derniers tombent dans la catégorie des « vices » qui pourraient être corrigés si seulement l’alcoolique/toxicomane faisait preuve de volonté pour s’en sortir. Mais il n’en est rien. Il s’agit de maladies, d’ailleurs reconnues par l’Organisation mondiale de la santé, et ceux qui en souffrent n’en sont pas responsables.

Alors, une personne qui dort sous un balcon, avec comme matelas des boîtes de carton aplaties et un vieux sac de couchage, quand il fait moins 20 ou qu’il pleut à boire debout ne le fait vraiment pas par choix. Du moins, pas un choix éclairé. C’est la maladie mentale ou la dépendance qui l’empêche d’aller dans un refuge ou de chercher un toit permanent.
Tout le monde aimait Stéphane. Sa famille est venue nous voir à quelques reprises pour entrer en contact avec lui. C’était dur pour les siens. C’était désespérant.

Nous avons perdu un membre de la famille. Une grande peine nous habite. Stéphane laisse un grand vide. À sa famille, ses frère et sœurs, ainsi que celle de L’Itinéraire et à tous ses clients qui le connaissaient et l’aimaient, nos plus sincères condoléances.

Stéphane Avard

Photo : Justine Latour