La ville de Percé « témoigne de l’immensité », décrit Jean-François Kacou, son directeur général aux origines ivoiriennes, qui a suscité la curiosité des habitants comme des médias depuis son arrivée en 2019. Et parler de Percé avec M. Kacou, c’est aborder les défis de cette municipalité à travers des enjeux mondiaux, à travers des idées novatrices qui n’ont laissé personne indifférent. Pourquoi ? « Parce que les problèmes globaux ont un impact local », résume-t-il, en entrevue depuis son bureau de l’hôtel de ville.

Pour ce Québécois d’adoption, Percé doit se préparer à des défis déjà amorcés, mais aussi à venir. D’où le titre de son plan stratégique proposé à la Ville : Se préparer pour l’avenir, auquel l’orientation donnée est teintée par la crise climatique et son « gigantesque impact social », qualifie M. Kacou. Au-delà des catastrophes actuelles : l’érosion des berges, les feux de forêt ou encore des tempêtes tropicales destructrices, le directeur, Ivoirien d’origine, concentre son énergie à préparer la ville à « gérer des problèmes colossaux ».

Innover pour s’adapter

Sur la liste des grands chantiers figurent entre autres la protection de l’environnement et la lutte contre la pollution.

Des visées qui imposent «une nouvelle forme de gouvernance, d’innovation et de recherche et développement», selon M. Kacou. « On a travaillé avec l’École de technologie supérieure de Montréal (ÉTS), donne-t-il en exemple, et avons finalisé une campagne de recherche et développement sur une nouvelle formule d’asphalte mélangée à du plastique souple, un polluant extrême, notamment pour la faune marine ». Une action qui permet de lutter contre la pollution, à moindre coût, de surcroît, souligne-t-il, tout en plaçant Percé au rang de ville écoconsciente et proactive.

La lutte contre l’insécurité alimentaire occupe également une place de choix. Une préoccupation d’autant plus vive en région éloignée. « C’est la résilience de la communauté qui est en jeu », indique le directeur général. Parce qu’une tomate à Percé n’a pas la même «saveur financière» et la même empreinte écologique qu’au Centre-du-Québec. La création d’une école de permaculture et d’agriculture innovante en plus d’infrastructures locales permet alors le développement de circuits courts de productions maraîchères et de distribution alimentaire. « Ainsi, on réduit les distances, on contribue à la diminution des gaz à effet de serre en plus de développer l’autonomie », énumère fièrement M. Kacou.

Prévoir pour mieux accueillir

Tout a un coût, dont les infrastructures publiques, et leur entretien supporté à 65% par la taxe foncière des propriétaires de Percé, aux prises, comme l’ensemble du Québec, avec le vieillissement de la population et un solde migratoire négatif. « C’est un enjeu terrible pour les petites municipalités, confirme le directeur, parce qu’on a une baisse de natalité, d’immigration, et dans l’absolu, une diminution de l’entretien des bâtiments puisqu’il n’y a plus de gens pour payer la taxe foncière. »

Pour alléger le lourd fardeau fiscal des contribuables, qui ne faisait qu’augmenter au fur et à mesure que le nombre d’habitants diminuait, la Ville a donc décidé d’une redevance touristique appliquée depuis mai 2022. Une première au Québec, qui, à coup d’un dollar prélevé sur chaque transaction de 20$ effectuée par un visiteur, alimente un fonds dédié aux bâtiments touristiques. Loin de faire l’unanimité, cette décision vise à dégager les 800000$ du budget nécessaires à l’entretien des infrastructures publiques et à « prévenir le réchauffement climatique en ayant les moyens de renforcer ces infrastructures, en plus de les développer en cas d’accroissement de la population », ajoute le DG.

Car, malgré un solde migratoire négatif, M. Kacou prépare la ville à accueillir de nouveaux habitants, en prévision des déplacements de population, forcés par la crise climatique. Mais « si l’accroissement de la population est, en soit, un avantage, avons-nous les infrastructures nécessaires pour accueillir ce monde? », questionne le directeur. Un serpent qui se mord la queue.

Changer les habitudes

Percé est un «laboratoire d’expérimentation» de 550 km 2 , affirme M. Kacou. Un territoire plus grand que la ville de Montréal, mais également très pauvre. « La Gaspésie a toujours été l’une des régions les plus pauvres du Québec, et le taux de chômage y a toujours été l’un des plus élevés. »

Une situation systémique et culturelle que le directeur tente également de changer. « C’est que le travail est saisonnier ici, et cette culture se transmet de génération en génération ». En créant des « emplois quatre saisons », la ville souhaite augmenter le niveau de vie des gens et leur permettre de joindre les deux bouts plus facilement.

De la Côte d’Ivoire au Québec

C’est au Québec qu’il posera ses bagages en 2018, après sept années passées en France à étudier le marketing et la communication, et un passage éclair à Montréal. « Mon cousin était au Canada après avoir quitté Paris. Il m’a dit: “Je suis à Montréal, c’est génial, il y a plein d’entrepreneurs, viens !”. Je suis tombé en amour avec la ville, ses parcs, l’été, la rue Sainte-Catherine ».

Il retourne alors finir ses études de premier cycle en France et revient au Québec avec un permis de travail Jeunes Professionnels et l’envie de contribuer au développement d’économies émergentes. Loin de sa Côte d’Ivoire depuis plusieurs années maintenant, M. Kacou a emporté avec lui certaines marques culturelles propres à ses racines. « Il y a un proverbe qui dit : découragement n’est pas ivoirien. Je ne lâche jamais. Et ce côté-là, d’aller toujours vers quelque chose de mieux, de faire en sorte que demain soit meilleur qu’aujourd’hui, je l’ai à l’intérieur de moi. Alors je contribue, en étant au Québec, à la hauteur de ce qu’il y a dans mon cœur. »

Être Ivoirien en Gaspésie

On pourrait s’interroger sur la manière dont M. Kacou a vécu son arrivée en poste, à Percé, ville où la diversité culturelle et ethnique est peu représentée. Et si « des choses ce sont peut-être dites dans les couloirs » à propos de ses origines, il n’a jamais senti de préjugés directs de la part des habitants ou de ses collègues. « Du racisme, du profilage racial, j’en ai vécu. Mais en France principalement. Ici (À Percé), on m’a laissé faire mes armes et il n’y a jamais eu de remise en question due à mes origines », amorce-t-il avant d’ajouter: « C’est sûr qu’être ivoirien et DG d’une petite municipalité au Canada, c’est assez inusité comme situation, encore plus en région éloignée. Ç’a suscité beaucoup de curiosité de la part de la population et des médias. »

C’est une certitude. M. Kacou aime vivre à Percé où « l’air salin [lui] rappelle Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire. » Les quatre années qui viennent de passer ont été « les plus palpitantes de sa vie », soutient-il. Mais sans s’y restreindre. « Si demain la vie m’appelle ailleurs, j’irais, mais Percé restera toujours dans mon cœur ».

 

Quelques semaines après l’entrevue, Jean-François Kacou a annoncé sa démission qui prend effet le 10 février : « Il est temps pour moi de me concentrer sur mes projets personnels et de nouveaux défis professionnels », a-t-il expliqué sur ses réseaux sociaux. 

Vous venez de lire un extrait de l’édition du 1er février 2023. Pour lire le texte intégral, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot.