L’automne dernier le Groupe Capitales Médias (GCM) s’est placé sous la protection de la Loi sur les faillites. Cette entreprise possédait six quotidiens majeurs au Québec : Le Soleil, Le Quotidien, Le Nouvelliste, Le Droit, La Tribune et La Voix de l’Est. Des journaux phares des grandes villes du Québec en dehors de Montréal. On ne parle pas d’une entreprise comme les autres, mais bien d’un des fondements de notre vie démocratique. Un média, ça n’est pas un dépanneur; collectivement, nous avons le devoir d’en prendre soin.

C’est ce que le gouvernement du Québec a fait en août dernier, en accordant une aide d’urgence de cinq millions de dollars, la publication des six journaux n’étant plus assurée à très court terme, l’entreprise était à court de liquidités. Par la suite, le personnel s’est mobilisé et a proposé à la Cour la transformation de l’entreprise en coopérative de travailleurs.

L’indécence au grand jour

Dans la foulée, on a appris qu’une partie de la pension des retraité-es allait être amputée, jusqu’à 30 % de sa valeur, à cause de la mauvaise situation financière de l’entreprise. Cela a placé plusieurs d’entre elles et d’entre eux dans une situation plus que fâcheuse, certains étant même contraints de vendre leur maison pour survivre. Selon ce qu’on en comprend, cette situation aurait été causée par les conditions de vente de GCM à Martin Cauchon, il y a quatre ans, par Gesca (Power Corporation), qui était également propriétaire de La Presse.

Déjà qu’il est odieux qu’on sabre dans la retraite méritée et due de ces familles, mais les hauts dirigeants de l’entreprise ont ajouté l’insulte à l’injure. Le journaliste de La Presse Francis Vailles a en effet révélé que Martin Cauchon et son PDG, Claude Gagnon, se sont versés pendant ces quatre années des salaires et dividendes à hauteur de 500 000 $ chacun. Cela veut dire qu’en quatre ans, GCM a payé à ses deux principaux dirigeants quatre millions de dollars, soit presque l’équivalent de ce que vous et moi, par le biais du gouvernement, avons versé en aide d’urgence l’été dernier.

Si un dictionnaire avait besoin d’un exemple pour le mot « indécence », on ne pourrait pas trouver mieux.

Des employés qui valent des pinottes

Les retraité-es devront possiblement payer pour cette transaction désastreuse – et, j’oserais dire, pour la gestion tout aussi catastrophique de la part de ses administrateurs. Les employé-es seront probablement en partie perdants, des postes devant être coupés. J’utilise le conditionnel car j’écris ces mots plus d’un mois avant que vous ne les lisiez – espérons que les choses aient changé pour le mieux entre temps.

Mais ça ne change rien au fond de l’affaire : un propriétaire d’entreprise et son plus haut dirigeant se sont payés un demi-million de dollars par année pendant que leur entreprise était déficitaire de plusieurs millions et qu’au final ce sont les employé-es et les retraité-es qui payent la facture.

J’ai fondé trois entreprises dans ma vie. Dans les trois cas, mes associés et moi avons parfois décidé de ne pas nous verser de salaire alors que nous étions à court de liquidités, question de nous assurer de payer nos employé-es. Plusieurs membres de mes entreprises recevaient des salaires largement supérieurs au mien. Tout ça est tout à fait normal. Comme entrepreneur, je me devais d’assurer la pérennité de l’entreprise et de prendre soin de mon monde.

Ce que MM. Cauchon et Gagnon n’ont pas fait. En capitaines irresponsables, ils ont mené leur bateau tout droit vers un récif, mettant en danger leur équipage.

Pire que l’irresponsabilité, ils sont coupables de mépris profond envers leur monde. On m’a rapporté que Claude Gagnon, lors d’une petite fête soulignant son départ à la retraite, avait apporté un cadeau à ses employé-es : un gros bocal d’arachides. Oui, vous avez bien lu. Des pinottes.

Cet homme a laissé à son monde des pinottes. Littéralement.

Laisser à ces femmes et ces hommes qui lui ont permis, en travaillant avec acharnement, d’encaisser un revenu de deux millions de dollars en quatre ans, ce que ni vous ni moi ne pouvons jamais espérer, ça a un nom. Ça s’appelle de la violence économique.