En février dernier, une demande de recours collectif contre plusieurs grandes chaînes de distribution a été déposée par une Montréalaise, Aviva Maxwell. Cette dernière estimait « subir une discrimination basée sur le sexe » lorsqu’elle achetait des produits pour femmes qu’elle ne payait pas au même prix que ceux des hommes alors qu’ils étaient de la même marque et qu’ils contenaient les mêmes ingrédients.

La question de l’écart du prix d’un produit ou d’un service en fonction qu’il soit destiné aux femmes ou aux hommes a souvent été abordée comme un problème de discrimination basée sur le genre. Exception faite d’un comparatif des tarifs des produits et services, comment prouver qu’il s’agit d’un réel enjeu ?

En mars 2016, ParseHub, une compagnie spécialisée dans l’exportation de données, affirmait que les femmes payaient 43 % de plus que les hommes pour des produits quotidiens. En achetant un rasoir, un shampooing, un savon, un déodorant et une crème à raser, une femme pouvait payer jusqu’à 47,57 $ contre 44,84 $ pour un homme, soit une différence de 2,73 $ pour répondre aux mêmes besoins.

Pour mener à bien cette étude, ParseHub a analysé un peu plus de 3000 produits de soins personnels vendus en ligne sur walmart.ca, well.ca et loblaws.ca. Les produits ont été classés en cinq catégories : déodorants et antisudorifiques, rasoirs et crèmes ou lotions de rasage, savons et bodywash, et soins capillaires. Les prix analysés sont basés sur une moyenne du produit vendu par unité. La firme précise cependant que les produits pour les hommes et les femmes sont généralement vendus en quantités différentes, ce qui complique les comparaisons.

De la mobilisation à la législation

En plus de la Ville de New York et de l’État de la Californie qui ont tous les deux mené une réflexion sur la taxe rose, la France a aussi dû faire face à ce débat. C’est le Collectif Georgette Sand, une organisation féministe, qui a été à l’origine d’une mobilisation engagée via le réseau social Tumblr.

Résultat : les parlementaires français n’ont eu d’autre choix que de se pencher sur cette question soulevée à la suite de l’envoi d’un rapport sur la situation au ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique mais aussi à l’Institut national de la consommation français. Dans cette étude, les prix de trois familles de produits (rasoirs, déodorants et crèmes hydratantes) étaient analysés dans plus de 7000 grandes surfaces commerciales. Et le même constat a été fait : les produits destinés aux femmes étaient en général plus chers que ceux adressés aux hommes.

Les chercheurs ont aussi recensé les tarifs pour trois types de services soit les prestations de déménagement, le dépannage automobile et les services en serrurerie. Là encore, difficile de prouver que la tarification était due à une discrimination faite à l’égard des femmes.

Quant à la question de savoir comment réguler cette situation au Québec, en janvier dernier, l’ancienne présidente du Conseil du statut de la femme Julie Miville-Dechêne affirmait à l’émission La Facture, qu’il serait presque impossible d’appliquer une telle loi au Québec.

Questionnée sur le sujet par téléphone, l’Union des consommateurs affirmait vouloir mener une étude plus approfondie sur le sujet afin de vérifier s’il s’agissait d’une situation systématique et s’il y avait réellement une tarification établie en fonction du genre sur les produits et services.

Inégalités de revenus

Cette question de l’écart des prix des produits en fonction qu’ils soient destinés aux hommes ou aux femmes n’est pas juste une question de consommation. Elle est étroitement liée aux inégalités de revenus puisque malgré l’adoption de la Loi sur l’égalité salariale qui fête ses vingt ans cette année, « la probabilité que le revenu d’une femme soit moins élevé que celui d’un homme est encore importante au Québec », affirme la chercheuse.

Ainsi, selon les données, en 2016, le ratio entre le salaire hebdomadaire médian des femmes et des hommes était de 79 % pour la province. Cette donnée était valable pour tous les travailleurs et travailleuses, qu’ils soient en temps plein ou temps partiel. La chercheuse explique cependant que pour mieux comprendre l’incidence de cette donnée, il est nécessaire d’analyser le taux horaire.

S’il est vrai qu’en général les femmes travaillent moins d’heures et souvent à temps partiel, est-ce une raison pour légitimer ces écarts dans les salaires ? « On les excuse souvent par les choix de carrière qui peuvent être différents pour les femmes. Mais encore une fois, se ramener au taux horaire permet d’observer une donnée brute et de se questionner. Il faut aussi se rendre compte des répercussions pour des femmes issues des minorités visibles qui vivent une double discrimination puisque leur taux de chômage est deux fois plus grand. Imaginez donc le poids de la taxe rose pour celles qui ont plus de difficultés à se trouver un emploi ! », s’inquiète Marie-Pier Roberge Brouillette.

Cet écart dans la tarification est non seulement visible dans les produits, mais aussi dans les services proposés aux femmes. Là encore, il est quasi certain qu’une même coupe de cheveux revienne plus chère à une femme qu’à un homme. Une différence de tarification qui se remarque jusqu’aux prix des jouets destinés aux jeunes garçons ou aux jeunes filles.

La véritable question à se poser, c’est de savoir, si en tant que société, nous acceptons qu’il y ait cet écart dans la tarification. Est-ce que je devrais en tant que femme réfléchir aux moyens de payer moins cher alors qu’on ne demande pas aux hommes d’effectuer une telle démarche ?

Manque de données

Cette comparaison entre les produits est-elle suffisante pour affirmer que les femmes paient une taxe rose ? Comment expliquer que les services qui leur sont destinés, du coiffeur au nettoyeur, soient en général plus chers que ceux destinés aux hommes ?

Bien que les constats sur la facture soient nombreux, les données scientifiques semblent manquer. D’ailleurs, en recherchant activement des informations sur Statistique Canada, force est de constater qu’aucune distinction n’est faite dans les analyses des tarifs des produits du panier de consommation. Et ce, bien qu’ils soient différents dans les rayons.

Chercheuse à l’Institut de recherches et d’informations socioéconomiques (Iris), Marie-Pier Roberge Brouillette a aussi constaté ce manque de données. Elle précise qu’il est difficile de rendre compte de cet écart dans la tarification des produits autrement que par un comparatif fait en magasin.

Mais pour qu’il soit crédible, il faut « démontrer que les deux produits que l’on compare sont les mêmes », cela signifie être identifié de la même marque, pour une quantité similaire, publicisé de la même façon et surtout ramené à la même unité. Or, « bien souvent, on va se rendre compte qu’en plus du prix, la quantité d’un produit pour homme ou pour femme ne sera pas la même », explique-t-elle.

Et si cet écart était simplement dû au système économique de l’offre et de la demande ou aux coûts de la production ? « C’est vrai qu’il peut y avoir des écarts en terme de coût de production, mais ils ne sont jamais aussi grands que ceux que l’on observe en terme de prix », interpelle la chercheuse. « Est-ce que les femmes ont besoin de produits et services qui répondent réellement à des caractéristiques plus spécifiques que les hommes ? Ont-elles accès à d’autres alternatives ? Ont-elles accès à un prix auquel l’homme a accès ? Il ne faut pasoublier que cet argument va dans les deux sens, les hommes aussi ont des besoins qui sont marchandisés. »

Le regard des autres hérité de la socialisation jouerait aussi beaucoup dans le choix des produits achetés par certaines femmes. « Si une femme achète des rasoirs pour homme alors qu’ils sont pour elle, elle va sûrement se faire questionner ou au mieux regarder. C’est aussi une pression sociale », ajoute Marie-Pier Roberge Brouillette qui interpelle sur les choix marketing des produits. « Pourquoi c’est la couleur rose que l’on choisit souvent pour les produits destinés aux femmes ? Pourquoi un rasoir a-t-il besoin d’être rose s’il est plus cher qu’un rasoir bleu ? », interroge-t-elle.

Le fait qu’une femme paye plus cher son panier de consommation, mais aussi la forte probabilité qu’elle gagne moins de revenus qu’un homme, c’est une inégalité en soi.

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Modèle : Cindy Rose; Coiffure : Marie, Bar à couleur; Maquillage : Jennifer Low; Photo : Anaïs Faubert.

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