Illustrations par Siou

Après deux ans de pause forcée et un nouvel album entre les mains, le vétéran de la chanson de chez nous, Richard Séguin, prend la route pour un tour de chant qui s’arrêtera un peu partout au Québec. Les liens les lieux, son 13e album studio en carrière, propose une facette plus intime et personnelle de l’artiste de 70 ans.

C’est de délicates notes de piano et d’une voix qui trahit une inquiétude que commence la dernière offrande artistique de Richard Séguin, Les liens les lieux. Fragile, triste même, ce n’est pas tellement de chanter dont il est ici question. L’exercice est plutôt d’insérer une mélodie dans le mot, de déposer chaque syllabe comme un récit en soi.

On l’imagine souvent debout, le poing en l’air, notre Richard Séguin. Sur cet album, c’est tout le contraire. On le sent bien assis sur une chaise de bois, chez lui, dans son village de Saint-Venant-de-Paquette. Il réfléchit à l’état des lieux. Il se raconte. Beaucoup même. Et puis, c’est la première fois qu’il écrit sur sa mère. Ou encore qu’il « règle quelque chose » avec le silence de son père. L’Itinéraire s’est entretenu avec lui.

Richard Séguin, votre album porte le titre Les liens les lieux. C’est presque un titre énigmatique. Il veut dire quoi ?

C’était important pour moi de dégager les deux grandes lignes de l’album. D’abord les liens. Ceux avec ma famille, la nature, les amitiés et l’amour. Ensuite les lieux. Le territoire, celui qu’on habite, qu’on nomme, qu’on chante. C’est significatif pour moi parce que j’habite dans le village de Saint-Venant-de-Paquette. On est bien conscient et sensible à ce qui se fait au quotidien autour de nous. On veut conserver notre forêt, développer plus d’aires naturelles protégées et vivre en symbiose avec la nature. Ça nous tient à cœur. L’aspect écologique est bien présent sur l’album.

Concrètement, je l’ai commencé quand j’ai reçu un texte de la poète québécoise Hélène Dorion, Un peu de poésie. C’est la première chanson de la dizaine qui compose le disque. C’est elle qui a démarré mon processus d’écriture et de composition. J’aime beaucoup ce qu’elle fait. Ça fait des années qu’on se rencontre dans mon patelin autour du projet du Sentier poétique, un sentier dans le bois où on affiche des textes des auteurs d’ici, et de la Nuit de la poésie au village.

Ensuite j’ai reçu un texte de Marc Chabot, un ami et collaborateur de longue date. Enfin, il y a celui du cinéaste et auteur Hugo Latulippe. Il venait de présenter Je me soulève à Sherbrooke, un film sur l’amour du territoire qui m’a beaucoup touché. Puis, il avait fait un texte en parallèle. Quand je l’ai lu, je l’ai appelé et je lui ai dit: « Il y a une chanson là-dedans ». Ç’a donné la dernière pièce Petit hymne aux Grands Rangs. De mon côté j’ai écrit cinq chansons, dont un hommage à mon ami Florent Vollant et deux chansons sur mes parents.

Qu’est-ce qui vous a bousculé à ce point dans le texte d’Hélène Dorion pour en faire le moteur d’un album complet ?

Les quatre premières phrases de l’album résument pas mal toute ma pensée et aussi notre vision d’où on est rendu: « Il est déjà minuit / Dans la forêt du monde / Qu’est-ce qu’on a trahi / Pour que l’orage gronde ». Ça fait longtemps que les écologistes et ceux qui travaillent dans le milieu de la conservation nous disent qu’il est minuit moins cinq. Mais il est déjà minuit ! C’est trop tard! Ces mots ont beaucoup nourri ma pensée et la direction de l’album.

Parce qu’aussi, de manière personnelle, je m’inscris dans un bilan collectif de notre génération. On a rêvé et on a essayé beaucoup de choses avec nos idéaux et notre envie de refaire le monde. A-t-on accompli ce qu’on devait accomplir? Force est de constater qu’on vit aujourd’hui dans une société très individualiste.

Même si c’est un constat triste, qui peut se dégager dans les textes, il y a aussi un engagement là-dedans. Je pense que volontairement, je nourris l’espoir. C’est un acte de volonté.

Pourtant, on regarde le village de Saint-Venant-de-Paquette comme un exemple de vivre-ensemble. C’est presque idyllique.

C’est [le syndicaliste] Michel Chartrand qui disait: « Pensez d’abord au bien commun ». Le bonheur, je le trouve davantage dans le partage et dans le sens commun que dans la satisfaction singulière. J’ai besoin de la collectivité. J’ai besoin de participer au monde.

C’est pour ça que même si je vis dans un petit milieu de 98 habitants, on a beaucoup de projets qui dépassent l’individu. La création du Sentier poétique et de la Nuit de la poésie en témoignent. On essaie aussi de faire vivre le village avec notre petit café La maison de l’arbre.

Et il y a un aspect symbolique à Saint-Venant. C’est une petite communauté francophone à cinq kilomètres des States. On protège notre langue, on fait la promotion de la poésie de chez nous. On n’a pas les moyens de faire des choses gigantesques, mais nos petits gestes, ensemble, ont une portée. J’y crois beaucoup.

Nous venons de vivre deux années où on a perdu un peu de vue cette collectivité qui vous est vitale. Est-ce que ça explique qu’on retrouve des chansons plus introspectives sur Les liens les lieux ?

La nature a été ma consolation et un réconfort. Pas le choix, moi aussi j’ai dû tout suspendre: pas de musiciens, pas de tournées, pas de Nuits de la poésie. Dans la pochette du disque, j’ai mis plein de photos en référence à mes promenades dans la forêt. C’était pour moi une affiliation, une union. La nature, c’est fort. C’est pour ça qu’elle est omniprésente dans mes chansons. J’ai tissé un lien très serré avec le territoire. Il demande à être aimé. Ce qu’on fait au territoire, on le fait à nous-mêmes.

Pour revenir à la question, je pense que oui cette période de pandémie a été synonyme de beaucoup d’introspection pour moi. Ç’a clairement donné un album plus intime et personnel.

Le fait d’être isolé, on dirait que ça nous a porté à faire des bilans, à se mettre à l’écart de la société pour observer comment elle se comporte.

À la sortie de la pandémie, j’avais un besoin d’intériorité. Ça m’a permis d’écrire des chansons pour remercier mes parents, par exemple. Pour ma mère, c’était important de laisser un témoignage de ce qu’elle avait été pour nous. C’est elle qui a apporté la culture dans notre maison.

La troisième chanson, Tout près des trembles, fait référence à votre enfance à Pointe-aux-Trembles. Elle est adressée à votre mère. Vous avez déjà dit en entrevue que c’était la première fois que vous écriviez une chanson sur elle. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?

(Long silence). Je ne sais pas. J’avais déjà commencé des petites phrases, sans plus. Ça s’est présenté comme une urgence. Un jour, j’ai réalisé que je n’avais rien raconté de ce qu’elle avait été pour moi et pour sa famille. C’est l’urgence qui m’a fait écrire sur ma mère.

J’ai une chanson qui parle aussi de mon père: Le Garage. Il y a la langue maternelle et il y a le silence paternel. J’avais des choses à régler avec lui. J’avais des choses à régler avec ce silence-là. Je le chante dans ma pièce Habité: « Habité les silences vulnérables de mon père ». J’essayais de comprendre pourquoi il y avait un silence chez les hommes de cette génération. Des hommes incapables de mots et qui pouvaient imploser. J’avais besoin de régler ça. Ça m’a replongé dans les raffineries de l’est de Montréal, le bord de la track et la rivière des Prairies.

Je devais avoir 10 ou 11 ans quand il m’a dit: « Tu peux maintenant rentrer dans le garage ». Rentrer dans son garage, ça équivalait à un chapitre écrit de sa part. Ça voulait dire: « Je te fais confiance. Tu peux prendre mes outils, je te donne accès à mon univers ». C’était une manière de communiquer, probablement. J’écris dans le texte: « Ta porte mal fermée / C’était peut-être voulu ».

Aujourd’hui, je pense à lui et je m’aperçois qu’il n’a jamais vécu son rêve. Il a été pris dans l’étau, entre ses rêves et la réalité. C’est un constat sombre qui me revient dans ce souvenir.

Vous chantez ces deux chansons sur vos parents en spectacle?

Tout près des trembles, ben oui! Pas Le Garage.

Vous venez de lire un extrait de l’édition du 1er décembre 2022. Pour lire le texte intégral, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot.