On aurait pu imaginer qu’après avoir roulé jusqu’en Californie au volant de son van aménagé tout l’hiver 2015, Julien Roussin-Côté, (photo ci-contre) alors jeune fondateur de la plateforme Go-van, aurait été heureux de retrouver le confort de son condo du quartier Rosemont, à Montréal. Mais non… « Mon condo, je le louais. Et moi, je dormais dans mon van, raconte celui qui y a vécu six ans à temps plein. J’y avais mes affaires, et c’est là que je me sentais bien. »

Autrefois considérés comme des hippies quasi-itinérants, les nomades d’aujourd’hui, qu’ils le soient à temps plein ou à temps partiel, appartiennent à une communauté qui s’organise, interpelle, et fait de plus en plus d’envieux. Mais au-delà des images glamours sur fond de cocotiers et de vans parfois luxueusement aménagés, le nomadisme n’est pas toujours rose.

Petite incursion dans le (pas si facile) merveilleux monde de la vanlife.

Des « tripeux de van » comme Julien Roussin-Côté, il en existe toute une communauté. On les appelle les vanlifers. Qu’ils soient nomades estivaux ou nomades numériques à travailler et vivre dans leur fourgon, tous sillonnent les routes en quête de liberté, d’autonomie et de simplicité. Un mode de voyage ou de vie choisi, qui impose cependant des défis quotidiens, dissimulés sous les photos d’« influenceurs en gougounes, dans un hamac à Bali, laptop sur les genoux », comme le caricature Claudine Bonneau, professeure à l’école des sciences de la gestion de l’UQAM et passionnée de nouvelles formes de travail en lien avec l’évolution des technologies numériques.

En quête de liberté

Marilou Lachance était professeure de théâtre au secondaire. Aujourd’hui, elle est rédactrice de contenu marketing à son compte. Aventurière contrainte au mode de vie « métro-boulot-dodo » par la cloche des écoles, elle était à un mois de troquer sa sédentarité pour la vanlife à temps plein au moment d’écrire ces lignes. Un projet qu’elle prépare depuis déjà plusieurs années, avec son conjoint.

« J’ai décidé d’être nomade numérique avant même que la pandémie ne commence. J’avais deux mois de vacances en tant que professeure, et je partais souvent en sac à dos. Mais même si j’adore enseigner, je voulais plus de flexibilité ce que le réseau québécois n’offre pas. Puis je trouvais que ça manquait d’humanité aussi. Parce que: Bravo! on a des iPads, mais on n’a pas d’orthophonistes pour accompagner nos élèves.

Tout ça m’a poussée à aller à l’opposé et à trouver une forme de liberté.

Alors, il y a environ quatre ans, j’ai acheté un van avec un ami pour partir trois mois en voyage. On l’a entièrement aménagé et rendu autonome. À cette époque, la vanlife n’était pas vraiment à la mode.

Notre voyage a finalement duré six mois et mon copain m’a rejoint vers la fin. On a fait l’Ouest canadien et la côte ouest des États-Unis jusqu’au Nouveau-Mexique. Notre envie de changement vient vraiment de ce voyage. En revenant, on a décidé de tout mettre en branle pour pouvoir repartir, mais de manière permanente. On s’est acheté un petit bus scolaire qui est presque terminé d’amenager et moi, je suis retournée à l’école pour faire un certificat, apprendre le SEO (optimisation pour les moteurs de recherche) et me réorienter comme rédactrice marketing. On a vendu toutes nos affaires et nous avons quitté notre logement.

Ça fait aujourd’hui un an que je suis à mon compte et ça se passe bien. Il faut dire que la demande ne manque pas. Mais avant de me lancer, j’étais ouverte à me trouver une job à distance. J’en ai fait des entrevues ! Et à chacune d’elle, on me disait : “oui, oui, on est flexible”, mais quand j’expliquais mon projet, on me répondait des “ah oui, mais il faut quand même que tu viennes au bureau deux jours semaine, ou pour les réunions”. Alors ils sont flexibles… mais pas vraiment finalement. »

Transformer sa passion en gagne-pain

« Pour moi, la vanlife a été l’occasion de changer de vie professionnelle. Mais ce que j’adore, c’est le sentiment de liberté et d’autonomie que ça te procure, en te laissant porter par le voyage. Ça nous a poussés aussi à revenir à l’essentiel, à être plus conscients de notre impact environnemental et à nous reconnecter avec le plaisir de la simplicité. Mais c’est aussi un couteau à double tranchant. Parce que la vanlife vient avec son lot d’incertitudes. Il faut être débrouillard, flexible, adaptable, ingénieux, accepter de laisser un certain confort… Ce n’est pas nécessairement pour tous. »

– Marie-Claude Vaillant, 29 ans, cofondatrice de Van Trotter

Aux origines du digital nomad

L’expression Digital Nomad, ou nomade numérique, est née en 1997 avec un livre du même nom écrit par le scientifique japonais Tsugio Makimoto et le journaliste britannique David Manners. En toile de fond, la prédiction suivante : avec le progrès des technologies des communications, nos lieux d’habitation et de travail deviendront géographiquement indépendants. Cette déclaration devra cependant attendre 20 ans avant de devenir réalité, avec la publication du best-seller The 4-Hour WorkweekEscape 9–5Live Anywhere, and Join the New Rich par Timothy Ferris. Traduit par La semaine de quatre heures, ce livre a largement contribué à la popularisation du mode de vie nomade en reprenant le concept de géo-arbitrage qui explique en bref qu’on tire plus de profit d’un salaire de 1 000 $ US en vivant en Thaïlande plutôt qu’à New York. L’engouement sur les réseaux sociaux s’est alors emballé. De là sont nées des histoires à succès, notamment celles d’entrepreneurs qui ont lancé leurs activités en ligne pour soutenir leur mode de vie nomade.