Il est de ceux qu’on ne présente quasiment plus. Sur scène, Samian rappe en français et en algonquin, la langue de sa grand-mère et de son arrière-grand-mère. Les mots sont précieux pour lui, autant que le sont les quatre plumes d’aigle qu’il a reçues de ses aînés. Cet héritage lui confère une responsabilité d’action et de transmission culturelle. Par son hip-hop, il offre à son public ses maux qui sont parfois si libérateurs qu’ils inspirent les livres d’histoire et les tatouages. Pluridisciplinaire, Samian a aussi fait sa place au cinéma et dans les musées où il expose ses photographies. Discussion avec un messager venu de Pikogan, en Abitibi.

L’itinérant est le nom d’une chanson inspirée de ton père qui passé de nombreuses années dans la rue. Tu as confié l’avoir retrouvé et pris sous ton aile jusqu’à son décès. Qu’est-ce que cette expérience a changé en toi ?

J’ai réalisé à quel point l’itinérance n’était pas un choix. Quand j’ai retrouvé mon père, je l’ai vu dans un état dans lequel il ne voulait pas que je le retrouve. À travers tout ça, j’ai finalement accepté sa maladie, l’alcoolisme, alors que pendant très longtemps, je n’avais pas envie de la vivre, de la voir et de l’accepter. Avec lui, j’ai voulu en apprendre plus, comprendre et changer ce qui pouvait l’être. J’ai appris tellement de lui et je suis heureux qu’on se soit dit les choses que nous devions nous dire avant qu’il parte. Quand je l’ai vu mourir de son cancer, j’ai décidé que je n’avais pas besoin d’alcool et de drogues dans ma vie. Ces substances sont la cause de sa mort, mais aussi de notre éloignement. C’est aussi avec cette expérience que j’ai appris à côtoyer autrement les itinérants, à prendre le temps de leur dire bonjour, de les écouter.

Que faudrait-il faire pour enrayer l’itinérance ?

Il faudrait d’abord que les personnes touchées soient prêtes à accepter les ressources qui existent et leurs règles : l’heure à laquelle sont servis les repas ou à laquelle elles doivent se présenter à tel ou tel rendez-vous. Puis, quand on est pris dans un problème de consommation, il faut être prêt à faire un pas en avant. Et c’est le plus complexe. On ne peut pas aider quelqu’un qui n’est pas prêt à aller de l’avant.

À l’heure où l’on se parle*, le rapport de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles disparues et assassinées a suscité un malaise dans la classe politique, notamment sur l’emploi du mot génocide. As-tu l’impression qu’on avance sur ces questions ?

Bien sûr qu’on avance. On est un peuple et une culture et on a su rester vivants. On est même les racines du Canada et du Québec. Je pense qu’en ce moment, ce qui est important à travers tout ce que l’on peut entendre dans l’actualité, c’est de dire au monde de revenir à ses racines. Les débats actuels sont liés au choix du mot : génocide culturel ou pas, peu importe, c’est un génocide ! Tant que la Loi sur les Indiens restera active, comme elle l’est encore en 2019, ce sera un génocide. C’est juste qu’il est un peu plus sournois, hypocrite et silencieux que les autres. Le but de la Loi sur les Indiens est quand même de tuer l’indien à l’intérieur de l’enfant. Si ce n’est pas un génocide, qu’est-ce que c’est ? Je ne parle pas de la rafle des pensionnats ou même de l’isolement des Premières Nations de la société. Ce sont des morts calculées par l’État, pas par une autre ethnie ou par une guerre, mais bien par nos gouvernements qui ont décidé d’exterminer certains peuples. Et il n’y a absolument rien à expliquer, les faits sont là. On avance en tant que société, parce qu’aujourd’hui, beaucoup de choses sont dites et mises en lumière. On est ce qui reste du génocide, c’est donc à nous de prendre la parole et de revendiquer notre identité.

As-tu pensé à faire de la politique ?

Je n’ai pas envie d’en faire parce que je serais obligé de me censurer si j’en faisais. Je ne pense pas que je pourrais dire tout ce que j’ai envie de dire en tant que politicien. J’ai l’impression qu’en politique, les gens se font élire pour défendre leurs propres intérêts : une fois que tu es élu et au pouvoir, le discours change. J’ai beaucoup de misère avec la politique, de la misère à croire les politiciens et à embarquer dans leurs discours électoraux. La musique diffuse des messages bien plus vrais et rassembleurs.