La récession économique qui accompagne la pandémie au Canada touche plus durement les femmes. Ce n’est pas pour rien qu’elle a été qualifiée de « she-cession », pour récession au féminin, par les économistes. Alors que les plans de relance ne semblent pas prendre la mesure de cette particularité, nombreuses sont les femmes qui subissent encore les contre-coups du confinement.

Estelle a vu son quotidien chamboulé à la fermeture des garderies et des écoles. Impuissante face à la situation sanitaire mondiale, elle a dû arrêter de travailler pour s’occuper de ses quatre enfants alors que son mari était en télétravail au sous-sol. « Je suis rendue ça : une ménagère à temps plein. J’ai une telle colère. J’en ris, j’essaye de faire des blagues, mais je suis en beau tabarnac du matin au soir. Dès que j’ouvre l’œil et que je me rappelle de ce qui se passe, de ce que je me ramasse à faire de mes journées, je ne décolère presque pas jusqu’au soir », confie Estelle au micro de Jessika Brazeau et Lory Zéphir dans leur balado Ça va maman ?.

Les deux mamans ont chacune leur spécialité : Jessika Brazeau est animatrice et réalisatrice tandis que Lory Zéphir est spécialisée en santé mentale maternelle, périnatalité et attachement parent-enfant. Leur travail a aidé d’autres mères à mettre des mots sur les maux du confinement. « À la maison, avec mes enfants, je n’avais personne à qui parler. On a vécu tellement d’émotions souvent négatives dans le confinement qu’il y a eu un besoin de les normaliser sans se juger », raconte Jessika Brazeau. « C’est comme si la pandémie avait révélé l’urgence de parler de santé mentale parentale. Si au début, sur les réseaux sociaux, des femmes disaient se sentir bien à faire du pain ou avec les enfants, le discours a évolué au fil du temps », ajoute Lory Zéphir.

De tous les témoignages qu’elles ont récoltés, c’est celui d’Estelle qui semble avoir eu le plus d’échos. Sa colère et son impuissance ont été des sentiments éprouvés par beaucoup de femmes et de parents qui ont vu leur rôle social changer à l’ordre de confinement du 16 mars. Car, en plus de s’inquiéter de la pandémie, il fallait assumer toute la charge mentale domestique, émotionnelle et scolaire. Toutes ces tâches non rémunérées sont souvent effectuées par les femmes, bien que certains papas cherchent à s’impliquer.

Pertes d’emploi genrées

Professeure à l’Institut national de la recherche scientifique et directrice de l’Observatoire des réalités familiales du Québec, Maude Pugliese rappelle qu’habituellement les femmes sont moins touchées par le chômage que les hommes. « La seule raison pour laquelle cela se passe un peu mieux pour eux, c’est parce que la construction a pu reprendre relativement rapidement au Québec et au Canada et souvent, c’est un des secteurs les plus touchés, ce qui n’est pas le cas avec la crise actuelle. »

Les données de Statistiques Canada indiquent effectivement que les femmes sont plus touchées par les pertes d’emploi que les hommes. En juillet, l’emploi au pays était à -7 % de son niveau observé en février. En considérant uniquement les 25 à 54 ans, l’emploi était à -5,7 % de son niveau de février chez les femmes contre -4,4 % chez les hommes. Notons tout de même que chez les employés faiblement rémunérés, l’emploi était à -18,2 % par rapport au mois de février. « Une grosse partie de ces pertes d’emploi s’expliquent par le fait que les secteurs touchés par les fermetures et dans lesquels le télétravail n’est pas possible u2014 comme le tourisme, l’hébergement et les services u2014 sont des métiers à prédominance féminine. »

Même si le Québec a de bons acquis sociaux en conciliation travail-famille par rapport aux autres provinces, tout n’est pas encore gagné : les femmes continuent de s’occuper davantage des enfants et du travail parental et domestique. Plus inquiétées par les effets de la pandémie, en juin dernier, un peu plus de 15 % d’entre elles ont même réduit leurs heures de travail pour répondre aux besoins de la famille. « Tous les services de garde ont disparu du jour au lendemain, c’est gros pour l’égalité entre les hommes et les femmes, étaye Mme Pugliese. Quand il y a de l’incertitude économique, les couples prennent des décisions qui maximisent leurs revenus. Si les hommes gagnent en moyenne souvent plus que les femmes, elles sont plus susceptibles de prendre en charge les besoins de la famille en mettant leur carrière entre parenthèses. »