C’est avec un grand plaisir que je vous présente, en tant que rédactrice en chef invitée, cette édition spéciale « Être femme autochtone ».

Ce n’est pas tous les jours que la direction d’une revue que l’on apprécie vous offre de travailler avec son équipe. Je n’ai donc pas voulu rater cette occasion de vous présenter un des sujets qui me tient le plus à coeur : nous, les femmes autochtones de tous les horizons.

Je suis arrivée à Montréal il y a cinq ans, dans l’intention de joindre Idle No More, le mouvement pancanadien autochtone de réaffirmation identitaire. Joindre les manifestations monstres dans les rues, en observant celles dans plusieurs autres grandes villes du pays, a été une des pierres sur laquelle j’ai appuyé mon existence. L’île de Montréal étant à mes yeux une grande plaque tournante, un carrefour de rencontres et de projets cosmopolites, j’ai voulu embrasser dès le départ toute cette diversité et surtout faire, moi aussi, partie de notre éveil.

Ce que j’y ai découvert a été la dernière chose à laquelle je m’attendais : la femme autochtone.

J’ai appris que les fondatrices de la branche québécoise d’Idle No More étaient Anishnabekwe et Innu-ishkueu, alors que celles qui ont créé le mouvement sont issues de diverses nations autochtones. Puis j’ai découvert Theresa Spence, celle qui a fait connaître le nom du mouvement dans les médias et au Parlement. À l’époque cheffe d’Attawapiskat, elle a mené une grève de la faim de 44 jours sur l’île Victoria à Ottawa pour forcer les dirigeants canadiens à rencontrer l’Assemblée des Premières Nations du Canada.

Pourquoi ? Pour discuter de pénuries de logement dans les communautés autochtones, de sous-financement des écoles primaires et secondaires, de manque de ressources matérielles et humaines mais surtout, de l’épidémie de suicides chez les jeunes. Enfin, j’ai entendu pour la première fois le nom d’un phénomène que je connaissais, mais que je n’avais jamais nommé ainsi : le féminicide. Toutes ces femmes autochtones disparues dans les dernières décennies, sans jamais qu’elles ne soient retrouvées. Et toutes celles qui ont succombé à des violences qui leur ont été infligées. Être femme autochtone au Canada est dix fois plus dangereux que parmi tous autres peuples au pays.

Instinct de survie

J’ai compris avec les années d’où provenait ce mouvement : du fin fond de nos ventres. J’ai appris dans les dernières années qui j’étais en tant qu’Innue, et qui étaient les femmes des autres Premières Nations. J’ai compris surtout que ce qui nous animait depuis 2012 était un instinct de survie. Un instinct qui nous demande d’agir, parce que quelque chose est en train de se perdre, et que la survie du peuple en dépend. J’ai appris que lorsque nous avons à coeur nos peuples et nos cultures, nous devenons des forces insurmontables.

Dans les dernières années, nous avons réappris au cours d’Idle No More, que la femme autochtone est en train de reprendre son rôle traditionnel dans la société : celle de créatrice, de guide, de pilier de l’éducation. Marchant partout au pays à contre-courant dans une société aux fondements colonialistes et paternalistes, nous avançons, et nous n’avons même plus peur de l’avenir. Nous travaillons très fort à donner des visions d’avenir à nos enfants et nos jeunes, et surtout pour assurer la transmission des savoirs d’hier et d’aujourd’hui.

Cette résilience, c’est celle que je souhaitais que L’Itinéraire vous montre. J’ai voulu que nous allions à la rencontre de ces femmes qui façonnent présentement la place des Premières Nations en milieu urbain. J’ai fait la connaissance de nombreuses femmes autochtones dynamiques et déterminées au cours des dernières années à Montréal. On ne parle que rarement d’elles. Avec la Commission d’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues et assassinées, qui dans la dernière année a eu plus d’attention médiatique que les femmes autochtones disparues et assassinées elles-mêmes, il est temps d’en apprendre aussi sur les femmes vivantes qui changent leur environnement au quotidien.

Elles contribuent à bâtir jour après jour ce nouvel espace pour nos peuples dans la société québécoise et canadienne. Elles développent une nouvelle pensée des femmes dans le monde contemporain. Elles ont en elles certains éléments qui manquent désormais à notre société et qu’elles peuvent lui apporter : la conscience du passé et du futur, le sens du sacré, la philosophie et la connaissance de l’environnement, le mouvement de transmission des savoirs, le besoin de protection et de sauvegarde du patrimoine culturel matériel et immatériel de nos nations.

Il est temps d’apprendre à connaître les femmes autochtones.

Près du son des chevaux et du vent

Quand, assise sur ses genoux dans une tente de toile

Elle te nourrissait de banique, de thé

Et de syllabes

Marilyn Dumont