Quand un conducteur a déclenché son avertisseur sonore, Alain l’a interprété comme un signal d’alerte. Assis dans son véhicule, la panique s’est emparée de lui. Il est sorti et s’est mis à chercher son arme et ses collègues militaires. Ce n’est qu’en voyant le panneau de signalisation « arrêt » qu’il a compris qu’il était bien de retour au Québec.

Cette histoire, c’est Alain qui l’a contée à son père Michel, lui aussi retraité des Forces armées canadiennes. « Je dois avouer qu’au début, quand mon fils me disait qu’il avait des souvenirs désagréables de ses missions, j’ai eu tendance à le juger. Je ne réalisais pas à quel point il pouvait être marqué alors que moi aussi j’en ai vu des choses… », avoue-t-il.

À ce moment-là, Michel ne saisissait pas totalement que son fils était revenu de mission avec un syndrome de stress post-traumatique. Il n’avait pas admis le diagnostic avant qu’ils ne se parlent de quelques scènes d’horreur vécues là-bas comme la tentative de suicide de son sergent lors de sa première mission en Afghanistan. « Il était ambulancier donc aux premières loges. Il a été bloqué sur la route. En arrivant sur les lieux et après avoir appliqué le protocole d’intervention, il l’a vu avec la mâchoire arrachée par le projectile. Je vous laisse imaginer à quoi cela peut ressembler. »

Retour de mission

Ces flashbacks, Alain les a depuis son retour de mission en 2004. En vérité, il a commencé à les avoir « sur le terrain » et c’est pour cette raison qu’il a été rapatrié au Québec. Un rapatriement qui a eu lieu quatre ans après les attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis et seulement une année après que des soldats canadiens aient été déployés en Afghanistan dans le cadre de l’opération américaine Enduring Freedom.

À son retour, le pays d’Asie centrale annonçait la création de sa nouvelle constitution et le Canada, lui, s’était engagé financièrement pour appuyer l’élection présidentielle afghane. La même année, le général Dallaire témoignait devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda contre le colonel Théoneste Bagosora. On commençait à peine à mettre des mots sur les maux.

À cette époque, le syndrome de stress post-traumatique en tant que diagnostic médical était loin de faire les manchettes dans les médias comme aujourd’hui et avait même plutôt mauvaise presse au sein des Forces armées canadiennes. Michel ne le nie pas, « oui, il y a eu de l’aide financière et une pension à vie qui est utilisée pour payer le logement ou la nourriture de mon fils (…) Mais leur responsabilité doit aller au-delà. La blessure psychologique reste présente à vie. »

Un chien comme allié

Avec les années qui passaient, Alain avait toujours ses cauchemars intenses. Quasi associal même avec ses proches, « il y a eu des moments où il devait refaire ses dents qui se sont cassées dans son sommeil et d’autres, où il avait beaucoup de difficultés à rester présent dans une foule active ».

Une séparation et une garde partagée plus tard, père et fils tentent de rester souder et remuent ciel et terre pour obtenir de l’aide. « Quand une personne comme cela se sépare de sa conjointe comme c’est le cas pour la plupart des anciens militaires, son cercle d’amis devient aussi très limité. Il peut très rapidement s’isoler. Et c’est souvent cela qui l’amène à broyer du noir et à vouloir en terminer avec des actes que l’on ne souhaite pas », raconte son père.

Il y a quelque temps, Alain lui a parlé de la possibilité d’acquérir un chien d’assistance notamment avec l’organisme Les chiens Togo. Pour obtenir l’animal de compagnie, trois conditions doivent être respectées: fournir un mot d’un professionnel de la santé approuvant le projet d’adoption d’un chien d’assistance, mettre en place un suivi médical adapté et fournir un diagnostic de troubles psychologiques invalidants. En d’autres termes, le simple fait d’être stressé ou déprimé n’est pas suffisant pour obtenir un chien d’assistance.

Cette sorte de zoothérapie est loin d’être une solution miracle au syndrome de stress post-traumatique. S’il est vrai que ces chiens sont entrainés pour gérer l’anxiété de la personne concernée et qu’ils peuvent, par exemple, l’aider à surmonter sa peur d’aller dans les lieux publics, l’organisme précise « qu’ il est dangereux de véhiculer l’idée que la présence d’un chien suffit pour garantir rémission, bonheur et épanouissement de la personne en difficulté d’adaptation. Tout comme il est faux de prétendre qu’il s’agit d’une aide pouvant convenir à n’importe qui ».

Dans le cas d’Alain, depuis son retour d’Afghanistan, les traitements médicaux ne lui ont apporté que très peu de soulagement dans sa vie quotidienne. « Avec l’acquisition d’un chien, c’est sa qualité de vie qu’il souhaite améliorer. Ce projet, il l’a monté seul au départ, je lui ai apporté mon soutien pour récolter les fonds », explique son père.

Ces fonds nécessaires pour la réalisation de ce projet ont été fixés à 8000 $ comprenant le suivi psychologique d’Alain ainsi que l’entrainement de l’animal. « S’il fallait que je liste toutes les démarches que l’on a faites, j’pourrais écrire un livre. Ce qu’on a trouvé intéressant, c’est que cet organisme entraînera l’animal en fonction de la problématique d’Alain, ce qui à mon sens change tout ». Pour arriver à rassembler une telle somme d’argent, Michel a décidé de créer un site internet et de médiatiser l’histoire de son fils.

Au moment d’écrire ces lignes, Michel Albert nous apprenait qu’un vétéran du nom de Daniel Pelletier, habitant à Saint-Raymond, leur a prêté la somme de 8000 $ pour qu’Alain puisse faire l’acquisition d’un chien d’accompagnement. Père et fils se sont tout de même engagés à rembourser cette somme par le biais de la campagne de financement.

Statistiques contre déni

Selon l’enquête sur la santé mentale dans les Forces armées canadiennes menée en 2013, sur 8 200 militaires, 11,1 % ont dit souffrir des symptômes du trouble de stress post-traumatique.

Quelques années plus tôt, en 2001, une seconde étude a été réalisée sur l’incidence cumulative du trouble de stress post-traumatique et autres troubles mentaux. Selon ces données, il était estimé que 8 % des militaires déployés avaient reçu un diagnostic. Pour obtenir ces résultats, plusieurs dossiers médicaux de militaires ont été évalués au retour de leur mission en Afghanistan entre le 1er octobre 2001 et le 31 décembre 2008. Il s’agissait alors de la première étude qui s’appuyait sur des diagnostics cliniques établis par des professionnels en santé mentale plutôt que sur un questionnaire d’autoévaluation.

Plus récemment, en 2014, le psychologue clinicien Alain Brunet a publié une recherche dans le Canadian Journal of Psychiatry dans laquelle il préconisait à l’armée canadienne, et en entrevue au Soleil, « de cesser de répéter qu’il n’y a pas de lien direct entre les suicides de militaires ou d’anciens combattants et les missions à l’étranger ». Les militaires sondés avaient été envoyés en Bosnie et à Chypre lors de missions de maintien de la paix. Ils avaient tous développé un trouble de stress post-traumatique et couraient douze fois plus de risque d’avoir des pensées suicidaires. Ils étaient 36 fois plus à risque de tenter de s’enlever la vie.

Quant au taux de suicide chez les militaires, en janvier 2016, La Presse affirmait que le suicide comptait pour le tiers des morts dans les Forces armées canadiennes depuis cinq ans.

 

Les autres articles du dossier dans votre magazine

Vivre avec un stress post-traumatique

  • Chauffeurs d’autobus éprouvés
  • Reconnaître un événement traumatique
    Par Alexandra Guellil