J’ai toujours été étiqueté comme marginal parce que ma mère s’est séparée de mon père à une époque où ça ne se faisait pas. Cela a fait que je me sentais rejeté. D’un autre côté, j’ai voulu montrer que je pouvais prendre la place de mon père. Je voulais prouver que le monde n’avait pas raison de me faire sentir inférieur, rejeté ou exclu de la société, je voulais leur prouver qu’ils avaient tort. Je me suis formé une carapace en me disant que je pouvais renverser la situation (à ma manière, qui n’était peut-être pas idéale). C’est là que s’est déclarée la guerre entre le système et moi, c’était un combat continuel.
Je me tenais avec des personnes plus vieilles, c’est ça qui m’a mené en prison jeune. J’étais détenu avec des adultes à l’âge de 15 ans et demi. Je n’ai pratiquement pas eu d’adolescence et je suis devenu tout de suite un adulte. Les détenus m’ont pris sous leur aile comme si j’étais leur garçon, mais dans ma tête je faisais partie des grands. Ce fut l’école du crime plutôt que celle du secondaire ou de l’université.
J’étais donc marginal et un peu exclu parce que je ne faisais plus partie du système, j’étais sorti du moule. C’est la population qui décide que tu es marginal, ce n’est pas toi. C’est à l’intérieur des murs que tu réalises que tu es une personne exclue, parce que les screws te disent que tu n’es même pas bon pour vivre dehors, que tu es obligé d’être enfermé. Ils essaient de jouer avec ton moral pour te casser.
En guerre contre le système
Quand tu le réalises, il est trop tard. Je me suis dit que ce serait « me, myself and I » et que ce serait moi qui mènerais mon cheval de bataille. Je me suis révolté contre la société, et aussi un peu contre moi-même sans m’en rendre compte. Même si je menais mon combat, je ne voulais pas que mes frères soient pris dans les mêmes histoires que moi. Mais sans le vouloir, j’ai entraîné le bébé dans mon sillage. Quand j’ai vu que toute la famille payait à cause de moi, c’est là que la révolution s’est faite.
Comment sortir de ce moule-là ? J’ai réussi en 2008. Je regardais les gens autour de moi et ils auraient tous pu être mes enfants. Je me suis demandé ce que je faisais là. En prison, j’étais respecté par tout le monde, mais ce n’était plus ça que je voulais, j’avais l’impression que je n’avais plus rien à prouver.
Sortir sans rien
Il n’y a pas de réinsertion sociale dans le système carcéral provincial. Tu sors sans rien. C’est moi qui ai fait ma réinsertion. À un moment donné, tu as un choix à faire : tu restes dans le pattern ou tu changes de vie. Quand tu décides de changer de vie, il faut que tu changes de milieu complètement. J’appelle ça repartir à zéro. J’ai refait ma vie à un endroit où je ne voulais pas vivre. Je me disais que Montréal était une ville de fous.
Mon frère a été ma bouée de sauvetage. Il m’a fait une chambre. Il vendait L’Itinéraire et il m’a présenté un intervenant qui m’a montré les ressources qu’il y avait, mis à part la vente de journaux, comme la nourriture, l’aide au logement, etc. De fil en aiguille, j’ai repris confiance en moi et j’ai commencé à vendre la revue. J’ai eu un spot de vente et j’y ai pris goût. J’ai commencé à m’impliquer dans le groupe L’Itinéraire. Ça a commencé tranquillement et cela fait maintenant dix ans.
Parce que je vends L’Itinéraire, j’ai le goût de vous demander : est-ce que je suis encore classé comme un marginal ? Pour moi le marginal ou l’exclu, ce n’est pas quelqu’un qui sort du moule de la société. Parce que si on le prend comme ça, quelqu’un qui porte un uniforme serait marginal. Est-ce qu’un policier ou un pompier est marginal ?
On peut aussi se demander : est-ce qu’un athlète olympique, c’est un marginal ? Il n’a pratiquement pas de salaire et il vit pour son sport. Ça le met dans une classe à part. Pour moi, celui qui est marginal, c’est quelqu’un qui a du génie (par exemple, un prodige du violon à 12 ans ou quelqu’un qui est à l’université à 14 ans) parce que ce n’est pas donné à tout le monde. Et ce n’est surtout pas une raison pour le mettre à l’écart.
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