Said Farkouh
Camelot métro Montmorency
Il est 15 h à l’une des stations du métro de Montréal où Jean travaille à la vente du magazine L’Itinéraire. Il est debout à quelques mètres de la ligne de perception, face aux passagers qui sont en train de sortir des voitures de métro.
Les passagers se précipitent comme un tsunami humain, tout le monde veut atteindre les escaliers mécaniques de la station de métro avant d’être bloqué par les autres, pour pouvoir sortir plus vite.
Jean est le camelot de cette station, vêtu d’une veste noire de L’Itinéraire, pour lequel il travaille. Il tient d’une main un magazine et de l’autre, une enveloppe contenant quelques autres qu’il s’attend à vendre aujourd’hui.
« Nouveau numéro ! »
Jean a commencé à crier avec son accent étranger qui est connu par de nombreux passagers : « Bonjour, Mesdames et Messieurs, L’Itinéraire, nouveau numéro ! »
Trois à cinq minutes se sont écoulées avant que toutes ces personnes soient sorties. Les vagues d’humains se succèdent plusieurs fois, mais pas de vente. Jean essaye de contrôler ses nerfs en poussant sa patience à la limite, alors qu’il regarde directement dans leurs yeux.
Certains ont l’air fatigué, peut-être épuisé après un travail pénible pendant de longues heures ou après s’être chicanés avec leurs collègues ou leurs patrons ; certains sont distraits ou ont le visage austère.
Une chose en commun entre les passagers : ils sont tous pressés et se précipitent pour accomplir leur destin. Certains mettent des écouteurs sur leurs oreilles. Jean se demande comment il peut communiquer avec eux s’ils ne peuvent pas l’entendre. Certains n’ont pas d’argent dans leurs poches parce qu’ils utilisent toujours leurs cartes bancaires.
Jean tourne la tête de l’autre côté. Il jette un coup d’œil à un jeune mendiant qui le regardait avec colère. Peut-être considérait-il Jean comme un adversaire qui a envahi son spot.
Des robots programmés
Les trains du métro arrivent encore, les passagers ont l’air plus stressé qu’auparavant, c’est l’heure de pointe. Ils ressemblent à des robots programmés, ils courent avec le rythme de la vie pressée d’ici.
Entre ces passagers, certaines filles des collèges ou des écoles, des dames qui travaillent dans les bureaux, sont très belles et élégantes et passent devant Jean. Il regarde leurs jolis yeux et leurs charmants sourires avec lesquels elles l’encouragent et s’excusent de ne pas acheter le magazine.
Jean se sent content de leurs sourires, mais cela ne suffira pas à couvrir le coût de son dîner et de son souper pour aujourd’hui, pas plus que pour s’acheter une tasse de café.
Jusqu’à présent, Jean n’a même pas vendu un magazine. Il pense qu’il vaudrait peut-être mieux changer de stratégie de vente, trouver quelque chose qui pourrait attirer l’attention de tous ces gens.
« Bonjour, lisez sur moi, Zoom sur Jean dans L’Itinéraire. Faite ma connaissance dans le magazine L’Itinéraire ».
La vieille dame qui marchait dans la foule
Une vieille dame s’approche lentement de lui, et commence à parler du magazine, en disant qu’elle l’aime et l’achète régulièrement depuis de nombreuses années. Elle aime aider les camelots… mais elle est interrompue par une autre vague de passagers qui sont sur le point d’arriver.
Elle a payé trois dollars. « Merci madame, bonne journée. ». Les trois dollars ont remonté le moral de Jean. C’est la première vente de la journée. Il a 1,50 $ dans sa poche.
Il est 17 h. Une vente en deux heures, ce n’est pas assez. Le sourire de Jean s’est estompé même s’il essaye très fort de paraître souriant. Il se souvient des mots d’un collègue qui lui a dit : « Communiquer et sourire, entre le camelot et les clients, c’est la clé du succès dans la vente. » Il est 18 h. Jean se demande s’il y a une erreur dans sa performance.
À qui sait attendre
Soudain, voici une belle femme qui s’approche de lui.
— « Combien ça coûte un journal ?
— Trois dollars, Madame.
— Es-tu dans ce métier depuis longtemps ?
— Seulement quatre mois.
— Est-ce que c’est ta photo en page trois ? Zoom sur Jean ?
— Oui, c’est moi.
— Bravo, ne lâche pas. Voici 20 $. Garde la monnaie. »
Jean vérifie l’argent et n’en croit pas ses yeux : 20 $ !
— « Merci beaucoup Madame. Merci et bonne soirée. »