RPA, CHSLD, RI, MDA, MA, CHSLD conventionné, non-conventionné… C’est à en perdre son latin ! Loin de ces grosses structures institutionnelles peu invitantes et des résidences privées onéreuses, bon nombre d’aînés veulent choisir eux-mêmes comment et où ils entendent vieillir. Ils veulent des modèles d’habitations pensés par et pour eux. Et qu’en est-il de ces aînés qui veulent rester là où ils ont élu domicile, loin des centres urbains, dans la grande ruralité ?

Si le gouvernement s’est engagé à livrer ses 33 premières maison des aînés (MDA) d’ici l’automne, ces maisons ne sont pas pour ceux et celles qui vivent dans la grande ruralité et qui désirent y rester.

D’autant plus que ces maisons des aînés ne font pas l’unanimité parmi les experts et les aînés alors que le récent rapport de la coroner Géhane Kamel sur la situation dans les CHSLD conclut d’abolir illico les CHSLD non-conventionnés et d’investir massivement dans les soins à domicile.

Au Québec, c’est une personne sur quatre qui aura plus de 65 ans en 2031. Ils représenteront le tiers de la population en 2061.

Le vieillissement de la population et le déséquilibre démographique qui se pointe à l’horizon nous obligent collectivement à repenser l’offre d’hébergement destiné aux aînés. Ils sont et seront plus nombreux à proposer et concrétiser des manières de vieillir différentes. Coopératives, mini-maisons, résidences communautaires, habitation intergénérationnelle, ce n’est pas la diversité des possibilités qui manque. Le dénominateur commun ? Plus petit, plus local et surtout enraciné dans l’identité historique de la personne.

L’histoire classique

On naît ou on s’installe dans le rang ou dans le village, on y grandit, on fonde une famille, les enfants grandissent, partent étudier dans les grands centres et ne reviennent pas.

On devient retraité, on vieillit, seul ou à deux, et une série de deuils nous amène au point de bascule : mort du conjoint, de la conjointe, chute critique, troubles cognitifs, services à proximité défectueux, coût de la maison trop élevé…

Annick Gallant est travailleuse de milieu auprès des aînés à risque de vulnérabilité au Centre d’action bénévole Ascension-Escuminac, situé dans la MRC d’Avignon en Gaspésie. Un immense territoire qui compte quatre habitants par kilomètre carré. « Mon rôle c’est de couvrir les 11 villages de mon territoire à la rencontre des aînés isolés. Comme il n’y a pas beaucoup de restaurants ouverts la semaine et qu’on n’a pas de Tim Horton, de centre d’achats où ils peuvent se rencontrer, ma job n’est pas toujours simple, dit l’intervenante native de la région de Matapédia-Les Plateaux, situé à l’ouest de la Baie-des-Chaleurs. C’est beaucoup de bouche à oreille. Les gens connaissent mes parents et mes beaux-parents. C’est ma carte de visite pour créer du lien et aller à leur rencontre parce que les milieux de vie sont très restreints ici, sinon inexistants dans certains villages. » Annick Gallant parcourt chaque jour la « dizaine de kilomètres » qui sépare chaque village de son territoire pour repérer ceux et celles qui voient le chiffre de leur âge augmenter en même temps que leurs besoins en matière de santé et de maintien à domicile.

Elle joue un peu, avoue-t-elle, le rôle de suppléante à la famille, quand celle-ci est absente et éloignée. « Je pourrais dire que je fais mon 32 heures par semaine, mais quand je vais faire mon épicerie je ne suis pas juste Annick qui va faire son épicerie. Je rencontre les aînés du village et les plus belles interventions se font parfois comme ça », dit-elle.

Parmi les défis récurrents des aînés qu’elle rencontre, le transport et la belle, mais difficile, immensité du territoire : « De l’extrémité ouest de mon territoire à l’hôpital le plus proche, il y a 120 kilomètres. Le Centre d’action bénévole offre un service d’accompagnement, mais 120 kilomètres en auto pour un rendez-vous médical, c’est épuisant. » Sans compter que cette aide au transport offerte par son organisme est subventionnée pour couvrir uniquement les frais de déplacement de première nécessité. « On ne parle pas d’aide au transport pour se déplacer chez un.e ami.e ou pour prendre un café. Tellement d’aînés rencontrés n’ont pas accès au transport adapté ici. »

Pierre-Luc Lupien, enseignant de sociologie au cégep de la Gaspésie et des Îles et membre de l’équipe de recherche VIES (Vieillissements, exclusions sociales et solidarités) pose un regard critique sur l’état du vieillissement en régions éloignées, comme à Carleton-sur-Mer, où il réside.

Selon lui, les gens qui vieillissent et qui sont en perte d’autonomie ne veulent pas attirer l’attention sur leur condition, alors ils s’isolent en espérant pouvoir rester chez eux le plus long- temps possible. « Il y a des cas où tu entres dans la maison l’ hiver et ce n’est pas juste le toit qui coule, il y a carrément de la glace qui s’est formée. La maison est complètement inadéquate, mais ils ne veulent pas faire de bruit et se retrouvent à vivre dans des conditions inconcevables, dit celui qui termine son doctorat sur les aînés et le logement en contexte rural. Beaucoup de personnes âgées ont des enfants qui ont quitté la région et reviennent rarement. Ça arrive qu’on va repérer la personne quand on s’aperçoit qu’elle n’a pas payé son compte de taxes, par exemple. »

Des histoires comme celles-là, Annick Gallant en a plein à raconter. « Il n’y a pas si longtemps, j’ai emmené une aînée dîner avec moi et elle me disait qu’elle n’avait pas mangé avec un autre être humain depuis mars 2020, raconte avec émotion l’intervenante de milieu. J’ai beaucoup de cas de santé mentale qui ne sont pas pris en charge par le réseau et ça se dégrade. La semaine dernière j’ai dû intervenir auprès d’une personne qui a un problème d’accumulation compulsive. La référence est faite depuis longtemps, mais on manque de ressources pour la prendre en charge. J’adore mon métier, mais il y des situations qui sont… ça me révolte. »

Rester dans la société

« Quand arrive le moment d’être hébergé, tu sais que tu t’en vas dans une société à l’intérieur d’une société», lance Annick Gallant. Elle ne croit pas à ces modèles résidentiels aux allures de « châteaux fort » qui proposent de vivre « à l’abri et en marge dans une microsociété ».

La maison des aînés la plus près de son territoire est prévue à Gaspé, à 320 kilomètres, à presque quatre heures de voiture. « C’est pas la même culture locale du tout! Pensez-y, d’ici à Gaspé c’est quasiment l’équivalent d’aller à Québec! », fait-elle remarquer.

Elle croit plutôt en ces petits modèles d’habitation à échelle humaine et intégrés à la société. Comme ce qui se met en place dans un village avoisinant : « C’est un neuf logements semi-autonomes avec une annexe de douze places pour personnes non-autonomes. C’est le même bâtiment, ils n’auront pas à déménager ailleurs si leur état de santé se détériore, ils vont changer d’unité. Il sera situé en plein centre du village, avec une belle terrasse ouverte, près de l’église et juste à côté de l’école primaire.

Elle poursuit en disant qu’il existe beaucoup de résidences plus grandes et impersonnelles, situées à la sortie du village. « Les résidents ne rencontrent que le personnel soignant et sont exclus de la société, dit celle qui planche sur plusieurs projets mettant l’accès sur l’échange intergénérationnel. Je travaille fort en ce moment pour annexer une garderie à ce projet d’habitations, pour attirer de la main-d’œuvre, oui, mais surtout pour les bienfaits que procurent la présence de jeunes enfants aux personnes du grand âge en hébergement. »

Le sociologue Pierre-Luc Lupien qui s’intéresse au vieillissement en ruralité abonde dans le même sens. « On a des grandes structures d’hébergement qui ne correspondent pas à la diversité des besoins. Le vieillissement n’est pas homogène et la condition des aînés peut varier. De 60 à 100 ans, c’est 40 ans de vie. Tu as de deux à trois générations dans ce qu’on appelle le vieillissement, nuance-t-il. Selon lui, il faut des petites résidences privées pour aînés (RPA) dans les villages. « Pour les personnes âgées nécessitant des services, on n’a pas le choix. Les défis restent toutefois énormes, comme la pénurie de main-d’œuvre et des normes strictes en matière d’habitation qui reviennent à la charge de ses petites institutions n’ayant pas les moyens de compétitionner avec les gros joueurs, comme les Résidences Soleil. »

Une autre idée envisagée, avance-t-il, est de réunir trois ou quatre maisons au bout d’un rang et de convertir les maisons en trois centres distincts : « une maison pour un centre de soins, une pour un centre de loisirs, une pour l’ hébergement », énumère le chercheur et enseignant.

Selon le Rapport sur les résidences pour personnes âgées au Québec (2019) de la Société canadienne d’hypothèques et de logement, il y a trois fois plus d’aînés de 75 ans et plus au Québec qu’ailleurs au Canada à vivre dans ces RPA.

On compte actuellement quelque 1 775 RPA certifiées par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), dont 221 sont sans but lucratif et enregistrées comme OSBL d’habitation ou en coopérative de solidarité en habitation pour aînés.

L’histoire de Pauline

Pauline Dumoulin a 69 ans et entend demeurer là où elle a posé son chapeau, dans son village d’adoption, à Saint-Adrien en Estrie. L’ancienne préposée aux bénéficiaires a quitté Montréal en 2008 pour atterrir « à temps plein » dans ce village d’à peine 550 habitants. Locataire au cœur du village, la retraitée et présidente de la FADOQ de Saint-Adrien gagne « 23000$ à peine par année avant impôts. dit-elle au téléphone. Par mois, c’est 1700$, alors oublie ça d’aller vivre à Sherbrooke ou à Montréal. Et j’en connais beaucoup d’aînés ici qui ne gagnent même pas 20 000 $ par année ».

Elle se voit vieillir, sans famille proche, avec un logement et un coût de la vie qui augmente plus vite que ses revenus. Elle a décidé de ne pas attendre le «point de bascule» et de prendre les choses en main en planchant sur un projet de coopérative d’habitations pour aînés au coeur du village, situé à « 30minutes de Victoriaville l’été et 45 minutes l’hiver ».

« On veut travailler en communauté, s’entraider et gérer la bâtisse nous-mêmes, dit Mme Dumoulin qui vient tout juste d’envoyer le dossier au ministère de l’Économie, de l’Innovation et des Exportations (MEIE), chargé d’examiner et d’approuver (ou pas) le projet. Ce qu’on veut c’est 14 unités : sept 3 1⁄2 et sept 4 1⁄2 pour personnes âgées de plus de 60 ans seules ou en couple. Ça va être adapté en fonction des étapes du vieillissement. Des cadres de porte plus larges, des chambres de bain adaptées, etc. On essaie de créer des habitations qui vont vieillir avec la personne. » Elle espère fortement que les services de maintien à domicile se développent davantage pour répondre aux besoins en santé des futurs résidents de la coop.

La présidente de la FADOQ de la région mentionne que plus de 200 aînés vivent dans la municipalité de Saint-Adrien, pour la plupart propriétaires de maisons dans le village et ses alentours. Elle croit que plusieurs entretiennent une pensée magique sur leur capacité de demeurer dans leur maison jusqu’à la fin, alors que ce n’est pas la réalité. « Les mentalités doivent changer. Quand tu es en bonne santé et que tu es encore capable, tu penses que ça t’arrivera pas. C’est la journée où il arrive quelque chose qui fait tout chavirer, que tu te retrouves devant rien. L’humain est comme ça, il attend à la dernière minute », dit Mme Dumoulin, qui n’a pas attendu ce «quelque chose» pour décider de vivre l’automne de sa vie comme elle l’entend, et surtout, où elle l’entend.

Et elle n’a pas tort. Le rapport sur les besoins en logement des aînés (2019) commandé par le gouvernement fédéral informe qu’au pays, près du quart (24,9%) des aînés vivent dans des logements non-conformes aux normes, peu importe le type de logement.