Plus durement touchés que l’ensemble de la population, le taux d’incidence du VIH chez les Autochtones est 2,7 fois plus élevé que celui de la population canadienne non autochtone, indique l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) dans un rapport publié en 2015. Ce taux chez ces peuples des Premières Nations s’élevait à 18,2 pour 100 000 habitants, alors que celui de la population canadienne s’est seulement accru à 6,7 cas pour 100 000 habitants.

En février dernier, Gilbert Émond, professeur à l’Université Concordia, a pris la barre d’un projet-pilote, L’Étude Rencontre, visant à mieux cerner la prévalence du VIH chez les Autochtones. En cette journée mondiale du sida, nous avons voulu savoir où en était cette étude. Montréal étant l’épicentre du VIH au Québec, l’étude met en relief les raisons pour lesquelles les Autochtones sont plus vulnérables que le reste de la population.

Pratiques sexuelles à risque, utilisation de drogues injectables, le risque d’infection chez les Autochtones est lié à quels autres facteurs ? « J’aimerais beaucoup avoir une réponse pour ces excellentes questions. Mais nous ne le savons pas et c’est la raison pour laquelle nous menons L’étude Rencontre. Nous voulons connaître les facteurs de risque qui affectent en particulier les personnes visées par l’étude ainsi que leurs communautés et connaître quels facteurs ont un impact sur la propagation quand elle touche les Autochtones d’ici. Les facteurs de risque choisis sont les mêmes que ceux explorés dans diverses études dans le monde », explique M. Émond.

Traumatismes des Autochtones

« Parmi les facteurs communs à travers le monde et aussi révélateurs de l’incidence locale, notons : les partenaires sexuels, les pratiques sexuelles et d’échange de drogue sans protection, l’usage de drogues ou avoir pris des drogues sans consentement, les échanges de sexe contre un gîte, un cadeau ou de l’argent avec des inconnus, avoir des relations sexuelles malgré soi, les déplacements vers les communautés éloignées et l’instabilité qui peut se produire suivant des changements importants comme lors de leur arrivée à Montréal; peut-être qu’il y a des facteurs pires que d’autres ou mieux gérés que d’autres, on ne sait pas », dévoile-t-il.

Le chercheur est aussi persuadé que d’autres facteurs sociaux plus larges affectent les personnes des Premières Nations, Métis et Inuit et pourraient se traduire par des comportements « d’ajustement » contraires à leur santé. « Nous sommes conscients qu’il y eu un impact dû aux traumatismes tels que la colonisation, les pensionnats autochtones, les rafles des années 60, etc. Si on ajoute un manque d’information et de services dans des communautés, petites ou éloignées, par exemple, et qu’on reconnaît la présence importante de la stigmatisation, de la discrimination et de la pauvreté, on a là un contexte qui peut prêter aux comportements contraires à la santé. Tout ça pourrait faciliter la propagation de maladies et du VIH, on en tient compte, mais ça reste au niveau des facteurs expliquant la condition sociale des participants », poursuit M. Émond, tout en précisant que les résultats seront connus lorsque son équipe de recherche terminera son travail de collecte de données avant la fin avril 2018.

Les seringues montrées du doigt

Selon les chiffres tirés d’une étude antérieure de l’ASPC, les Autochtones contractent le virus du sida majoritairement par l’utilisation de drogues injectables à hauteur de 58,1 %, par rapport à 13,7 % pour le reste de la population.

Alors que l’accès aux soins de santé est plus limité en région pour les Autochtones, ceux-ci « s’auto-médicamentent » en faisant de la consommation de drogues un moyen de composer avec des circonstances de vie traumatisantes, révèle le Réseau juridique canadien VIH/sida dans une publication parue en juin dernier. Malgré l’existence de services et de soutiens financés par le gouvernement, il persiste dans plusieurs communautés autochtones un manque de programmes et de services culturellement pertinents, particulièrement en ce qui a trait aux traitements, aux soins et au soutien pour le VIH, poursuit l’organisme.

Les Autochtones continuent aussi à être surreprésentés en matière de VIH au Canada. L’ASPC souligne que 278 nouvelles infections au VIH ont été déclarées chez des Autochtones (tableau 1), ce qui correspond à 10,8 % de toutes les nouvelles infections en 2014. En revanche, les Autochtones représentent 4,3 % de l’ensemble de la population canadienne (d’après le recensement de 2011).

VIH précoce

Les peuples autochtones ont tendance à recevoir un diagnostic de VIH à un plus jeune âge que les personnes d’autres races ou ethnies. De 1998 à 2012, 31,6 % des nouveaux cas de VIH parmi les populations autochtones ont été diagnostiqués chez les 15 à 29 ans, alors que seulement 22,2 % des nouveaux cas de VIH parmi les personnes d’autres ethnies ont été diagnostiqués chez les 15 à 29 ans, rapporte Maryse Durette, porte-parole pour l’ASPC.

Au ministère de la Santé, la porte-parole Marie-Claude Lacasse précise qu’au Québec, les Premières Nations, Métis et les Inuit sont en pleine expansion démographique et près des deux tiers de la population ont moins de 30 ans. « Or, les taux d’incidence de cas déclarés d’infection génitale à chlamydia trachomatis et d’infection gonococcique sont très élevés dans les régions du Nunavik et des Terres-Cries-de-la-Baie-James, suggérant un milieu propice à la transmission sexuelle du VIH en cas d’introduction dans les communautés autochtones nordiques », dit-elle.

Femmes affligées

Contrairement à l’ensemble de la population des personnes vivant avec le VIH au Canada, dont les trois quarts sont des hommes, les femmes représentent près de la moitié de tous les cas d’infection au VIH chez les Autochtones. Entre 1998 et 2012, près de la moitié (47,3 %) de toutes les déclarations de résultats positifs au test du VIH chez les Autochtones touchaient les femmes, alors que cette proportion était de 20,1 % chez les autres groupes ethniques.

Des 888 cas de sida déclarés chez les Autochtones pour la période de 1979 à 2012, 678 (76,4 %) étaient observés chez des membres des Premières Nations, 60 (6,8 %) chez des Métis, et 23 (2,6 %) chez des Inuits.

Des programmes de santé pour les Autochtones ?

Du côté de Santé Canada, on est « fermement résolu à s’occuper des priorités en santé des Autochtones, notamment la réduction des taux de VIH et de sida ». Le Ministère travaille pour atteindre les cibles d’élimination mondiale des infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS) d’ici 2030. Il a officiellement souscrit aux cibles mondiales d’ONUSIDA relatives au VIH : les objectifs 90-90-90, qui visent à ce que 90 % des personnes séropositives connaissent leur état sérologique, à ce que 90 % des personnes qui se savent séropositives se fassent traiter et à ce que 90 % des personnes traitées aient une charge virale supprimée.

« Nous continuons de collaborer avec des organisations et des partenaires autochtones pour appuyer des initiatives communautaires et mettre en œuvre des approches adaptées aux réalités culturelles. Nous sommes donc déterminés à renforcer l’intervention des communautés des Premières Nations contre le VIH en fournissant des ressources pour faciliter le dépistage précoce et l’identification des contacts ainsi que pour offrir des services de sensibilisation au VIH, de prévention des infections à VIH, de counseling et de soutien adaptés aux réalités culturelles. À titre d’exemple, la campagne « Connaissez votre statut », qui vise l’augmentation du taux de dépistage du VIH au sein des communautés des Premières Nations, s’est avérée efficace pour le dépistage, le suivi et le traitement de nouveaux cas dans des communautés autochtones », soutient Maryse Durette, porte-parole de l’ASPC.

Le gouvernement du Canada investit 8,5 millions de dollars par année pour prévenir et contrer le VIH/sida, l’hépatite C et d’autres ITSS chez les Autochtones qui vivent dans les réserves et ceux qui vivent hors-réserve. Après les annonces de nouveaux investissements autochtones pour combattre les maladies infectieuses liées au budget fédéral au début de 2017, le budget de la Direction générale de la santé des Premières nations et des Inuit (DGSPNI) de Santé Canada pour la lutte contre le VIH et les ITSS, qui servira à l’amélioration des services dans les communautés des Premières Nations, s’élève maintenant à plus de 3,2 millions de dollars.