Avec les froids glaciaux qu’on connaît, offrir un toit aux personnes en situation d’itinérance devient impératif. Tous les yeux sont tournés vers Fredericton, au Nouveau-Brunswick, où un projet novateur de mini-maisons vient d’accueillir ses premiers résidents. Pour contrer le phénomène de l’itinérance qui s’aggravait d’année en année, malgré les efforts déployés, le 12 Neighbours Community tente d’offrir une solution à long terme. Un projet à surveiller.

Apprendre et faire autrement

Au nord de la ville, un terrain vague est en voie d’être peuplé par 12 petites maisons et d’un centre d’entrepreneuriat social, qui seront construits au cours de 2022. Douze, c’est le chiffre magique qui se verra multiplié par huit pour atteindre 96 toits en 2024.

Chaque micro-maison fait 10 pi. x 24 pi., est dotée d’un balcon couvert, d’une salle de bain, d’une cuisine toute équipée, d’un lit pour une ou deux personnes, d’une salle à manger et d’un espace de rangement, tel que présenté sur le site de 12 Neighbours Community, un projet porté par l’entrepreneur social Marcel Lebrun.

Ces habitations communautaires, M. Lebrun les cogite depuis plusieurs années. « J’ai visité quelques villes en Amérique du Nord et j’ai proposé une solution originale en m’inspirant de ce que j’ai vu. J’ai voulu rassembler les ingrédients nécessaires pour non seulement fournir des maisons aux sans- abri, mais offrir une réelle opportunité pour qu’ils puissent effectuer des changements dans leur vie », explique celui qui est bien connu à Fredericton.

L’idée fut donc de concevoir un projet qui brise le cycle de dépendance sociale des personnes en situation d’itinérance et qui ne s’inscrit pas dans une mesure d’urgence. Un modèle qui offre une solution de longue durée à cette population qui est souvent de passage dans les refuges. « Une solution temporaire reste temporaire […], l’important ce n’est pas de changer uniquement les circonstances, il faut un travail sur soi, que la personne change la vision qu’elle a d’elle- même », dit M. Lebrun.

Des critères minimaux

Les futurs locataires de ces mini-maisons sont des personnes identifiées lors du dénombrement de la population itinérante du Nouveau-Brunswick en 2018. La By-Name List recense les personnes sans-abri de Moncton, Saint-John et Fredericton, principalement. Cette liste sert au système d’accès coordonné, qui permet la concertation des agents sociocommunautaires et les programmes de logements sociaux. « Toutes les instances concernées par l’itinérance à Fredericton travaillent ensemble et ils connaissent les gens par leur nom et surtout, leur situation. Ce sont eux qui nous recommandent les gens. Après on les rencontre, on leur propose le projet [ de mini-maisons ] et ils peuvent dire oui ou non », dit le fondateur qui a récemment reçu le soutien financier de 1,4 millions $ du gouvernement provincial. De plus, le ministère du Développement social du N.-B. octroiera des suppléments de loyer à chacune des nouvelles unités de logement de la première phase du projet afin de s’assurer que les locataires ne paient pas plus de 30 % de leur revenu en loyer.

En ce qui concerne l’accès à ces habitations, M. Lebrun ne voulait pas imposer davantage de critères, comme l’obligation d’un suivi psychosocial et d’une démarche de réinsertion préalables, entre autres. Selon lui, il faut partir des besoins de la personne en lui offrant un espace positif où elle peut reprendre confiance. « Au 12 Neighbours, on ne demande pas aux personnes de nous raconter leur histoire. On les prend comme elles arrivent et on part de ça. » Parce que raconter son histoire pour justifier l’aide dont on a besoin, quand elle est douloureuse, c’est à chaque fois émietter une confiance fragile, selon lui.

Repenser l’accompagnement

À Fredericton, c’est le Housing First Services, découlant de la John Howard Society, un OSBL indépendant, qui est mandaté d’offrir les services d’accompagnement et de maintien en logement aux gens à risque ou en situation d’itinérance. D’ailleurs, M. Lebrun s’y implique activement depuis quelques années. Si certaines des personnes qui intègrent la communauté des 12 voisins bénéficient d’un soutien social préexistant, M. Lebrun a voulu néanmoins s’éloigner de cette approche traditionnelle qui, d’après lui, établit un rapport hiérarchique entre soignant et soigné.

Le projet prévoit plutôt un type particulier d’intervention qui implique des intervenants nommés community navigators. « On voulait de l’horizontalité, comme des pairs-aidants en quelque sorte. » Ces intervenants ont comme rôle d’accompagner les personnes en travaillant leurs objectifs personnels et en assurant la liaison avec les services sociaux, au besoin. « Bien entendu, il va y avoir aussi des ateliers et des services dans le centre d’entrepreneuriat social », ajoute M. Lebrun.

Ensemble au même endroit

Avant de donner son aval au projet, la Ville de Fredericton redoutait la concentration des 96 micro-maisons dans un même endroit. C’est pourquoi la mairesse Kate Rogers et son équipe ont proposé un déploiement sur plusieurs lieux pour éviter une forme de ghettoïsation. «Les meilleures pratiques pour le logement social disent qu’il faut éviter la concentration du parc locatif et favoriser une mixité sociale. M. Lebrun a vite répondu à cette préoccupation par la construction par étapes de 12 mini-maisons et progresser jusqu’aux 96 demeures au fil des ans. On va suivre l’évolution du projet avec M. Lebrun et s’ajuster avec lui et son équipe au fur et à mesure », dit la mairesse de la troisième ville en importance dans la province.

Bien que ce modèle puisse engendrer des craintes de débordements, Marcel Lebrun y voit plutôt une force qui permet de « tous les retrouver à la même place et de centraliser les services ».

En dehors des inquiétudes soulevées, la mairesse reconnaît toutefois les avantages de construire au même endroit. « Le logement social, c’est à la fois complexe, mais pas compliqué. Pas compliqué parce que c’est essentiellement juste un toit. Et complexe parce que les personnes qui requièrent ce toit ont des besoins multiples. Ça nécessite un soutien qui doit être coordonné et on optimise le processus quand les personnes se retrouvent au même endroit. » Disperser les gens aux quatre coins de la ville implique d’étendre davantage les services de proximité. Cette approche requiert des ressources financières et humaines qui ne sont pas toujours disponibles. C’est pourquoi le modèle de communauté, qui peut accueillir entre 100 et 200 personnes, répondait à ces obstacles.

C’est en aidant qu’on s’aide

Ce que Marcel Lebrun retient de ce long processus de recherche et d’élaboration, c’est qu’une personne qui ne croit pas en sa propre valeur ne peut pas s’émanciper et sortir du cycle de la dépendance sociale. Se sentir utile, avoir quelque chose à offrir, c’est le premier pas vers la réintégration en société, estime l’entrepreneur social.

C’est d’ailleurs la raison d’être du centre d’entrepreneuriat social qui se situera à même la micro-communauté. Trois projets d’économie sociale sont déjà prévus dans le centre qui sera construit plus tard cette année. On y prévoit un café, un comptoir alimentaire, une galerie d’art ainsi qu’une fabrique de mini-maisons destinées tant aux sans-abri qu’à la communauté en général.

Qu’en pense-t-on à Montréal?

Plus près de chez nous, l’humoriste Mike Ward a offert, à la fin de janvier, 25 mini-maisons à la Ville de Montréal, qui les a refusées. L’administration Plante a jugé que ce n’était pas une solution adaptée aux gens en situation d’itinérance puisqu’elle doit comprendre de l’aide et de l’accompagnement d’intervenants psychosociaux sur le terrain. La mairesse a de plus évoqué le manque de ressources financières et humaines comme obstacles.

Cette histoire a fait grand bruit non seulement parce que l’offre vient d’un humoriste bien connu, mais parce qu’au moment de la proposition, on recensait déjà deux sans-abri morts de froid en début d’année. A-t-on rejeté l’offre trop rapidement ?

Julien Montreuil, directeur adjoint de l’organisme l’Anonyme, aurait souhaité qu’on examine la proposition plus longuement et, surtout, en impliquant les organismes ayant l’expertise en matière d’itinérance. « J’aurais aimé qu’on prenne le temps de se poser quelques questions de base: on a une offre, un certain nombre de mini-maisons, y ’a-t-il un terrain ? Est-ce que certains organismes communautaires pourraient porter le projet ? Qu’est-ce qu’ils en pensent ? », s’interroge-t-il. Il reconnaît toutefois que le manque de ressources est un obstacle majeur au déploiement de projets comme celui-ci .

L’Anonyme parle en connaissance de cause puisqu’elle a accueilli en décembre dernier les premiers résidents de son projet de maison de chambres dans Hochelaga- Maisonneuve, à quelques pas du campement démantelé de la rue Notre-Dame. Le projet a plusieurs similarités avec celui de M. Lebrun, notamment en ce qui concerne les critères pour y résider. L’immeuble, autrefois une piquerie insalubre, a été complètement revampé et comporte aujourd’hui 14 chambres. Ce projet à haut seuil d’acceptabilité s’appuie sur une approche de réduction des méfaits. « Le logement supervisé, ça marche pour un paquet de gens, estime Julien Montreuil. Mais y’a une frange de la population pour qui ça ne marche pas. Qu’est-ce qu’on fait pour ces personnes exclues du réseau de la santé, des institutions, de la société en général ? Eh bien il faut créer du logement social sans trop de barrières, où les règles sont simples : tu payes le loyer et tu respectes les lieux et tes voisins », dit M. Montreuil. Le directeur adjoint est d’ailleurs bien au fait de l’initiative du 12 Neighbours Community. L’Anonyme prévoit dupliquer son modèle de maison de chambres ailleurs dans les prochaines années, en misant sur l’approche plus inclusive pour la communauté, comme à Fredericton.

Vous venez de lire un extrait de l’édition du 15 février 2022. Pour lire l’édition intégrale, procurez-vous le numéro de L’Itinéraire auprès de votre camelot ou abonnez-vous au magazine numérique.